Chapitre 21

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Toutes mes pires craintes sont entrain de se réaliser. Avec l'arrivée du printemps, le bateau d'Audar avait pu prendre la mer et nous rejoindre, anéantissant par la même occasion mes espoirs et ma vie.

Au vacarme que je fais dans la maison, Thorsten entre en trombe dans la pièce et se stoppe en me voyant. Il est clair que le spectacle que je lui offre est pour le moins désastreux. Je suis débout, n'ayant pas la moindre conscience des larmes qui dévalent mes joues, pieds nus au milieu de la vaisselle éparpillée sur le sol autour de moi.

_ Eivor, . . . Eivor, . . . m'appelle-t-il plusieurs fois mais je ne lui réponds pas.

Sa voix me semble si loin, comme bientôt il sera loin de moi. Il m'appelle encore et encore mais je sens un gouffre, . . . le gouffre qui nous séparera, s'ouvrir lentement entre nous. Et le froid de la solitude s'infiltrer sous ma peau et me glacer les veines telle la première tempête de l'hiver.

_ Eivor que se passe-t-il enfin ? Que t'arrive-t-il ? Me demande-t-il aussi inquiet que je suis désemparée.

Ce n'est qu'au moment où il me prend la main que je prends conscience de la situation. Mais je prends surtout conscience du regard pesant de Gunnar sur nous. Ne voulant pas mettre Thorsten dans une situation plus délicate qu'elle ne l'est déjà. Je recule libérant ma main de la sienne, pour éviter tout geste inconvenant entre nous.

_ Excusez-moi, je suis d'une maladresse impardonnable, répondis-je en me baissant pour ramasser ce qui est éparpillé sur le sol.

Thorsten me regarde interdit, ne comprenant pas ma réaction. Certes, ses derniers temps, lui et moi, nous nous étions laissés à quelques démonstrations devant les autres mais rien de plus que des sourires, des frôlements de mains. Rien de trop voyant en public, mais le soir . . . quand nous étions seuls . . . c'était différent, . . . nous étions nous-même. Mais un homme aussi observateur que Gunnar, qui plus est son meilleur ami et frère d'arme, pourrait facilement se rendre compte de quelque chose.

Contre toute attente, c'est Gunnar lui-même qui vient à mon secours.

_ Thorsten, Audar voudrait nous voir au plus tôt pour l'organisation du voyage retour, insiste-t-il.

Le regard de Thorsten voyage de son meilleur ami à moi et inversement. Puis sans un mot de plus, il se retourne et suit Gunnar à l'extérieur non sans me jeter un dernier regard inquiet.

Je le regarde s'éloigner de la maison, . . . de moi, . . . Puis je tombe à genoux au milieu des débris et laisse libre cours à mes pleurs. C'est à ce moment que je prends conscience que malheureusement pour moi Thorsten a pris une place dans ma vie bien plus importante qu'elle ne le devrait.

Au bout de quelques temps mes sanglots finissent par doucement se calmer. Je me redresse et ramasse tout ce qui est au sol. Je suis à genou frottant le sol quand la porte s'ouvre une fois de plus sans que l'on ne s'annonce.

Je ferme les yeux et m'attends au pire. Pourtant au son de sa voix, je me détends presque aussitôt. Heureuse d'avoir une amie à mes côtés.

_ Mon dieu Asl . . . Eivor, dans quel état t'es-tu mis ma belle ? Termine-t-elle en s'agenouillant à mes côtés.

Sans plus attendre, je me jette dans les bras de ma plus vieille amie et me laisse aller contre elle.

_ Là . . ., là . . . ça va aller, me rassure-t-elle en me serrant dans ses bras.

Voyant que je ne dis toujours rien et que mes pleurs recommencent. Ragna décide de prendre les choses en main.

_ Bon, commence-t-elle, toi, tu t'assois et moi, je termine de tout remettre en ordre et tu m'expliques ce qui se passe, poursuit-elle en se mettant à l'ouvrage.

Je m'assois comme elle me l'a conseillée et pose mon menton sur mes genoux encerclés par mes bras. Mais je n'ose toujours rien dire, comment réagirait-elle ? Alors je regarde mon amie s'occuper de tout.

_ Dis donc ma belle, le marché était le suivant. Je range, tu parles et non pas je range, tu me regardes, reprend-t-elle sur un ton léger afin de détendre l'atmosphère et me faire rire.

Comme à chaque fois, elle arrive à ses fins et je finis par esquisser un sourire. Mais je suis encore réticente à l'idée de lui confier mes secrets les plus intimes, . . . les plus enfouis. Mais elle n'est pas n'importe qui, . . . elle est ma meilleure amie, . . . celle à qui je n'ai jamais rien pu cacher, . . .

_ Par où commencer, répondis-je à mon amie. Tout d'abord pour être totalement honnête, jouer la fille d'un chef de clan capturée par des ennemis est loin d'être de tout repos, commençais-je avec un léger sourire.

Ragna relève la tête et me regarde avant de lever les yeux au ciel et de reprendre en se moquant légèrement de moi.

_ Oh oui, tu m'en diras tant. Laisse-moi réfléchir un peu à ce qui est le plus dur . . . se faire servir ? . . . Pouvoir circuler à sa guise dans le village ? . . . Être traitée avec respect ? . . . Ah non ! Je pense que le plus difficile est de tenir chaud la nuit au beau et fort Thorsten, termine-t-elle en souriant avec un clin d'œil.

Je la regarde ne sachant pas comment réagir ni même quoi en penser. Voulait-elle plaisanter ou me blesser ? Je n'ai guère le temps de chercher la réponse car Gunnar entre à nouveau sans frapper ni s'annoncer comme si c'était sa maison.

_ Ragna va préparer mes affaires. Je rentre chez moi . . . dans ma demeure, dit-il enjoué puis avant de quitter la maison, il se retourne vers nous et ajoute. Nous partons ce soir, termine-t-il heureux comme jamais.

Alors que j'intègre avec quelle rapidité les événements s'enchaînent et que nous quittons l'île ce soir, je constate que Ragna est déjà partie pour préparer les affaires de son maître.

Je me relève et rassemble mon courage et ma volonté. Je décide d'anticiper la demande de Thorsten et commence à rassembler ses affaires en vue du départ de ce soir. Ce dernier passe le pas de la porte alors que j'ai un tas de linge dans les mains.

_ Tu ranges mes affaires ? S'étonne-t-il.

_ Oui, il me semble que nous prenons la mer, . . . ce soir, lui répondis-je en baissant la tête incapable de le regarder dans les yeux.

_ Comment l'as-tu su ? S'enquit-il plus ou moins mal à l'aise.

_ Gunnar, . . . il est venu chercher Ragna pour préparer ses affaires . . . je ne l'avais jamais vu si heureux, poursuivis-je sans m'arrêter de ranger.

_ Eivor, . . . arrêtes toi un minute. J'aimerais que nous parlions de ce retour au château, et de comment cela va se passer, commence-t-il.

_ Parler de quoi Thorsten ? Tu sais très bien comme moi que je ne suis qu'une captive et que je serai traitée comme telle. Plus vite je m'y habituerai plus cela sera facile pour moi . . . dis-je en osant un regard que j'espère déterminé.

_ Eivor, . . .tu sais bien que, . . . que tu n'es pas, . . . que tu es plus qu'une captive à mes yeux . . . , commence-t-il à plaider.

Je respire difficilement. Le moment que j'avais tant redouté est malheureusement en train d'arriver. Je dois couper court à tout ce qui s'est passé entre nous. Il doit reprendre sa vie auprès de sa promise Sigfrid et moi prendre le rôle d'esclave, . . . ce que je suis depuis toujours en réalité. Enfin si j'ai la chance de rester en vie après ce que j'ai fait.

_ Peut-être mais tout cela doit cesser. Tu vas bientôt rentrer chez toi, . . . dans ta famille, . . . ton clan, . . . auprès de Sigfrid. Et moi, je resterai à ma place, celle de captive, en attendant que mon sort soit scellé par ton père, terminais-je plus forte que je ne l'aurai cru.

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