Chapitre 14

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Je regarde Thorsten rejoindre ses hommes. Deux d'entre eux ramènent la biche alors que lui, Gunnar et les autres s'enfoncent un plus profondément dans le bois.

_ Allons y, . . . tu es en train de geler sur place, me dit Ulrik avec gentillesse.

Je me retourne pour lui faire face, mais je me sens si mal que je baisse les yeux incapable de soutenir son regard. Je l'entends s'approcher doucement de moi. Il se place en face de moi mais ne dit rien et ne me touche pas non plus. Au bout de quelques minutes ainsi, alors que j'allais partir, Ulrik pose sa main chaude sur mon visage et le relève. Il plante ses yeux gris dans les miens . . . et en un instant tout disparaît. Je me retrouve propulsée dans le passé . . . ce fameux matin sur la crête.

Ce matin où contre toute attente, il m'avait embrassé. Ce matin où ma vie avait basculé. Et même si cet instant magique avait été fugace, il avait été mon premier baiser. Il était le garçon que je chérissais en secret depuis mes treize ans. Celui que dont je rêvais même si je savais qu'il ne se passerait jamais rien.

Sa main continue à caresser ma joue diffusant une douce chaleur qui se propage dans tout mon corps. Son visage contrarié dans un premier temps par ma réaction se détend et ses lèvres esquissent un sourire, . . . chose rare chez Ulrik qui est toujours si sérieux d'habitude.

_ Pourquoi souris-tu ? Lui demandais-je timidement sans rompre le contact entre nous.

Il inspire et m'attire contre lui m'enveloppant de ses puissants bras. Au niveau carrure, il est vrai qu'Ulrik n'avait rien à envier à Thorsten.

_ Je suis tellement heureux que tu sois en vie ma belle Aslaug, murmure-t-il en me caressant le dos. Rentrons, tu grelottes.

J'acquiesce d'un mouvement de tête. Certes je grelotte . . . mais pas que de froid. Je suis frigorifiée par la peur et la trahison que j'ai commises.

Ulrik desserre sa prise et me tend la main. J'hésite un instant, mais je saisis sa main tendue et le suis. Nous progressons vers le village main dans la main. À une époque cela aurait été le plus beau moment de ma vie . . . mais là, je ne sais plus, . . . je suis perdue. Car même si Ulrik semble protecteur à cet instant, il faudra quand même que je m'explique sur l'attention que me porte Thorsten . . . et j'appréhende sa réaction à cause de son côté possessif et impulsif.

Nous rejoignons rapidement le village, mais à la lisière du bois, Ulrik s'arrête et je me tourne alors vers lui.

_ Qui y a-t-il ? Pourquoi t'arrêtes-tu ? Lui demandais-je doucement.

Il me sourit et lève ma main bien au chaud dans la sienne.

_ Oh ! Est la seule réponse que j'arrive à articuler.

Il détache alors violemment sa main de la mienne, comme s'il me rejetait.

_ Je ne suis pas sûre que cela soit bien vue dans le village, que la « captive » du chef de clan se promène main dans la main avec un esclave. Enfin, tu as fait ce qu'il fallait pour survivre je suppose, siffle-t-il entre ses dents avec mépris et agacement.

Il fait quelques pas et sort du bois, . . . quant à moi qui le connais depuis toujours, je reste incapable d'avancer. Comment pouvait-il ? Comment osait-il penser que je sois donnée à Thorsten dans le seul et unique but de garder ma vie sauve . . . ? Mais le ton dur et claquant d'Ulrik me ramène à la réalité.

_ Tu m'expliquera aussi pourquoi tu te fais passer pour ma jeune sœur, termine-t-il cinglant avant de poursuivre son chemin.

C'est comme un coup de fouet, je me reprends et le suis jusqu'à ma maison. Je suis profondément déçue qu'il puisse penser cela de moi. Mais avais-je pour autant le droit de lui en vouloir alors qu'il ne connaît pas l'histoire.

Nous n'échangeons plus une parole jusqu'à la demeure où je loge avec Dagny. Je m'apprête à passer le seuil quand la voix d'Ulrik me stoppe.

_ As . . . Eivor, . . . excuse moi, je . . . je n'ai pas la moindre idée de ce que tu as vécu . . . et  je . . .

Je fais volte-face et vois une telle tristesse dans son regard que mon cœur se serre instantanément. Mais je ne croise son regard que quelques secondes car il me tourne déjà le dos et part vers le centre du village. Le voir s'éloigner ainsi me brise le cœur. Ma bouche fonctionne alors plus vite que mon cerveau.

_ Ulrik ! Attends ! . . . je dois examiner ta blessure sur la joue, elle est encore un peu rouge.

Il s'arrête net puis se retourne lentement. Son regard d'abord surpris se remplit de douceur. Je lui souris sincèrement alors qu'il revient sur ses pas.

Dagny me regarde inquiète quand elle voit Ulrik me suivre dans la maison. Je la rassure au passage de quelques paroles. J'indique à Ulrik où m'attendre pendant que je vais chercher ce dont j'ai besoin pour soigner sa plaie à la joue.

Je cherche dans les différents onguents quand je m'arrête sentant une présence dans mon dos.

_ Que veux-tu Dagny ? Lui demandais-je sans même me retourner.

_ Alors tu le connais, finit-elle par lâcher dans un souffle.

_ Oui, il vient de mon village, répondis-je évasive ne voulant pas éveiller ses soupçons.

_ Je . . . je dis ça comme cela. C'est qu'il a la réputation de ne pas avoir été un esclave facile au début tout au moins, maintenant Gunnar l'apprécie . . . Et je n'aime la façon dont il te regarde, Thorsten ne va pas aimer, termine-t-elle plus sérieusement.

_ Il ne me regarde que comme une personne de son village qui n'a pas encore rejoint Odin, répondis-je peut-être un peu vivement.

Elle semble alors prendre conscience de ses paroles et de la situation dans laquelle Ulrik et moi sommes. Elle est soudain si triste et mal à l'aise que je la prends dans mes bras et lui souris pour la rassurer.

_ Je vais bien petite Dagny, . . . mais être arrachée à ses racines est difficile à vivre, repris-je avec plus de douceur.

_ Je suis désolée Eivor pour ceux que les miens t'ont fait subir, murmure-t-elle alors les larmes courent sur ses joues.

_ Tu n'as rien fait de mal. Tu as suivi ta famille, ton clan, . . . et à ta place j'aurais agi de la même façon que toi. Et puis tu m'as aidée de nombreuses fois depuis, terminais-je en la réconfortant.

Elle m'enlace à son tour et me dit doucement.

_ Merci Eivor, . . . tu devrais aller voir ton ami avant que Thorsten ne rentre. Je te préviendrais, termine-t-elle avec un clin d'œil.

Je lui réponds avec un sourire et me dirige vers ma chambre. Sans grande surprise, ma confiance diminue à mesure que je m'approche de ma porte. J'inspire pour me donner le courage d'entrer mais rien ne pouvait me préparer à ce qui allait suivre . . .

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