Viking

Chapitre 16

Il me faut quelques secondes pour oser regarder dans la direction de Thorsten. Je n'ai pas besoin de jeter un regard vers Ulrik pour savoir que ces yeux lancent des éclairs.

Quand mon regard se pose enfin sur Thorsten, je constate que tous ses muscles sont tendus. Il est lui aussi au bord de l'implosion. Le seul qui semble trouver la situation un temps soit peu amusante, . . . c'est Gunnar.

Alors que j'allais prendre la parole pour essayer de calmer les esprits. Ulrik se lève et se place devant moi faisant face à Thorsten. J'appréhende de plus en plus ce qui va suivre. Dans un dernier espoir, je fais un pas pour me mettre entre eux mais Ulrik m'empêche d'avancer avec son bras. Il me bloque derrière lui probablement pour me protéger de ce qui risque de suivre.

_ Dame Eivor me soignait quand elle a trébuché. Je me suis contenté de la rattraper afin de lui éviter une chute douloureuse. Aurais-je du la laisser tomber ? Termine-t-il sur un air de défi.

Thorsten semble évaluer ce que vient de lui dire Ulrik. Son regard acéré passe plusieurs fois de ce dernier à moi. Je soutiens son regard pour lui faire comprendre que les propos d'Ulrik ne sont que vérité. Au point où j'en suis, je ne suis plus à un petit mensonge. Par je ne sais quel miracle, Ulrik s'était repris et nous avait offert une porte de sortie convenable. Alors autant l'utiliser, de plus cela était en quelque sorte une part de la vérité.

Thorsten se retourne vers Gunnar. Ils échangent quelques mots que nous n'entendons pas. Mais les expressions qui défilent sur le visage de Gunnar m'indiquent que les propos de Thorsten sont loin d'être agréables ou de lui plaire. Pour autant le ton ne monte pas entre les deux hommes même si je suis certaine que Gunnar passe un moment peu agréable.

_ Ulrik, suis-moi, ordonne Gunnar sur un ton qui ne permet aucune réplique.

Sans un mot de contestation ou de rage, Ulrik se retourne et se place devant moi. J'appréhende ce qu'il va dire ou faire mais à ma grande surprise, il le suit sans aucun geste ou parole déplacés. D'abord rassurée par la sortie dans le calme de ce dernier, je commence maintenant à angoisser à l'idée de me retrouver seule avec Thorsten dans cet état.

Il est là devant la porte, immobile, le regard braqué sur moi. Son torse se soulève de façon saccadé au rythme de sa respiration qui traduit sa nervosité. Ne sachant plus quoi faire, je décide de ranger tout ce que j'avais pris pour les soins d' Ulrik. Une fois tous les produits rassemblés, je prends mon courage à deux mains et m'avance jusqu'à lui.

_ Je voudrais passer, dis-je calmement.

_ Pourquoi ? Me répond-t-il sur un ton peu engageant.

_ Je dois ranger les produits de soin, poursuivais-je toujours aussi calme. Il fallait bien que l'un de nous deux essaie d'apaiser la situation en lui montrant ce que j'ai dans les mains.

Il ne dit rien, ne bouge pas. Il se contente de me regarder dans les yeux. Même si cela m'est difficile, je soutiens son regard bleu perçant. Quand il me regarde ainsi, je me sens toujours déstabilisée mais j'essaie de ne rien laisser transparaître. Puis toujours sans un mot, il se décale de deux pas sur le côté pour me laisser passer. Je le remercie d'un simple signe de tête et sors en fermant la porte derrière moi.

Je serre contre moi ces deux pots comme si ma vie en dépendait jusqu'à l'armoire dans la pièce de rangement. Une fois les produits à leur place sur l'étagère, je me rends compte que je tremble comme une feuille. J'arrive à peine à reprendre mes esprits que Dagny entre paniquée dans la pièce.

_ J'ai essayé, . . . je te jure mais . . ., commence-t-elle

_ Je sais Dagny, la coupais-je, je sais ne t'inquiète pas tout va bien. De toute façon, Ulrik est juste une connaissance, nous n'avons rien, absolument rien à cacher, répondis-je plus convaincante que jamais.

_ Je n'en doute pas . . . mais . . . ce n'est pas moi qu'il faut convaincre. En tout cas, Thorsten prépare tes affaires, m'annonce-t-elle affolée.

_ Comment ? Répliquais-je étonnée.

Mais elle n'a pas le temps de m'en dire plus que Thorsten apparaît à mes côtés comme par enchantement.

_ Dagny, tu gères les soins et les malades seule pendant l'absence d'Eivor, annonce calmement ce dernier sans même un regard dans ma direction.

_ Oui . . . mais combien de temps car Eivor m'aide énormément, poursuit-elle sans oser le regarder.

_ Tu le sauras bien assez tôt, lui répond-t-il en prenant ma main sans la moindre délicatesse.

Sans que je puisse dire quoi que se soit, même pas au revoir à Dagny, il me tire derrière lui. Il m'oblige à le suivre comme ce matin-là dans mon petit village du Danemark. Je le suis sans protester, à quoi bon de toute façon, il est beaucoup plus fort que moi. En sortant de la maison, il prend un sac préparé et posé là à son attention.

Nous marchons depuis un bon moment. Nous nous enfonçons toujours plus loin dans le bois mais dans une partie que je n'ai pas encore eu le loisir d'explorer. Le silence devient de plus en plus pesant à mesure que nous progressons.

Ce n'est pas cette marche qui me fatigue mais le rythme que nous impose Thorsten. Alors que j'allais me résoudre à lui demander un instant pour reprendre mon souffle. Il s'arrête brusquement et se murmure à lui même.

_ Nous y voilà !

Je ne comprends pas tout de suite mais en regardant plus attentivement, j'aperçois au loin une petite maison de pierre perdue au milieu des arbres. À cet instant, tout un tas d'histoires peu engageantes me traverse l'esprit. Avait-il prévu de mettre fin à ma vie au fond des bois, là où personne ne pourrait m'entendre ?