Chapitre 20

11.4K 909 21
                                    


Voyant que je ne dis toujours rien, Thorsten me bascule dans ses bras et plonge son regard bleu océan dans le mien. Puis il approche doucement son visage, dépose un tendre baiser sur mes lèvres en les effleurant à peine.

_ Alors j'en déduis que tu resteras auprès de Dagny, finit-il par dire résigné en se levant pour faire quelques pas.

Je sais que c'est moi qui l'aie poussé à cette conclusion. Pourtant, je ne me sens pour autant à l'aise avec celle-ci. Sans réfléchir plus longtemps, je laisse parler pour la première fois de mon existence, cette partie de moi que j'ai toujours refusé d'écouter, . . . mon cœur. Peu importe les conséquences.

_ Je viendrai avec toi, . . . je . . . je reviens vivre avec toi, dis-je en me levant à mon tour encore surprise par ma propre audace.

En moins deux enjambées, Thorsten traverse la pièce et est sur moi.

_ Tu es sûre ? Me questionne-t-il encore sur la réserve par ma réponse positive après un délai aussi long.

J'acquiesce pour le rassurer. Je suis surprise de lire le doute dans le regard de cet homme si fort et sûr de lui en temps normal.

_ Oui, . . . je rentrerai avec toi, lui assurai-je le plus sincèrement du monde. Puis après une courte pause, j'ajoute. Quand devons-nous rentrer ? Un peu anxieuse de notre retour au village.

Thorsten semble soudain, ailleurs. Il regarde à l'extérieur le temps se dégrader rapidement. Le soleil naissant à laisser la place à de fins flocons qui s'épaississent avec le temps qui passent.

_ Le plus tôt sera le mieux , reprend-t-il sur un ton plus dur. Le robuste Viking reprend le dessus sur le Thorsten doux et tendre qu'il me laisse apercevoir de temps à autre.

J'accuse le coup, un peu difficilement me demandant si en rentrant avec lui je ne commets pas une erreur. Cependant j'ai vite compris que je devrais faire avec si je voulais rester à ses côtés. Parfois, il m'arrive même d'oublier quelques instants ce qui m'arrivera quand il saura tout de moi . . . Les dieux ne m'offriront pas de seconde chance, autant profiter de ce que j'ai à cet instant. J'essaie de me convaincre de ne pas m'attacher à lui pour ne pas souffrir. Mais si je suis un temps soit peu honnête avec moi-même, . . . je sais au fond de moi qu'il est déjà trop tard.

_ Bien, lui répondis-je en rassemblant le peu de chose que nous avions amené.

Une fois le tout rassemblé et le sac fermé, je pose ma main sur l'épaule de Thorsten contemplant toujours fixement la neige tomber. Il sursaute presque quand ma paume se pose sur lui, c'est presque comme si . . . comme s'il avait oublié ma présence.

Il se retourne avec un sourire lointain, . . . comme absent. Sa main se pose sur mon visage et à nouveau de délicieux frissons parcourent mon corps. Il saisit ma cape en laine, la pose délicatement sur mes épaules puis il y ajoute une fourrure.

_ Allons-y, me dit-il en prenant le sac d'une main et ma main dans l'autre.

La route du retour n'est pas plus agréable qu'à l'aller. Certes Thorsten ne me tire pas de force derrière lui. Nous progressons côte à côte dans la neige fraîche. Mais même couverte correctement le froid mordant du plein hiver me transit jusqu'aux os.

Quelques mètres avant la lisière du bois, Thorsten s'arrête. Il ne dit pas un mot mais lâche ma main pour caresser ma joue. Je lui souris comprenant que nous ne pouvons pas entrer main dans la main dans le village.

La traversée du village jusqu'à la maison semble durer une éternité. Il salue plusieurs de ses hommes. J'aperçois Dagny à la fenêtre que je rassure d'un simple signe de la main. Par contre quand je croise Ragna qui ramène le bois, quelque chose ne va pas, ne colle pas. Bien qu'elle me sourit quelque chose dans ses yeux me perturbe. Il y a une émotion que je n'arrive pas à lire, à comprendre.

Je n'ai cependant pas le temps de m'appesantir davantage car nous sommes arrivés. À peine ai-je refermé la porte que je me retrouve le dos plaqué contre celle-ci réduite au silence par les lèvres fiévreuses de Thorsten et mes craintes apaisées.

L'hiver passe doucement et inexorablement le printemps, lui . . . se rapproche. Une routine s'installe entre nous et dans le village. Thorsten gère la vie dans le camp, la chasse et la protection de celui-ci même si nous sommes seuls sur cette île. Pour ma part, je m'occupe de soigner les blessures des entraînements ou de la chasse. J'explore tant bien que mal ce que je peux visiter de notre île à cause de la neige. De plus Thorsten ne veut pas que je sorte seule, alors j'emmène Dagny partout où je vais. Mais je le soupçonne de nous faire surveiller de loin par un de ses hommes.

Quand nous sommes seuls à l'abri des regards, le Viking qui m'a arrachée à mon village, redevient un homme tendre et doux que j'ai l'impression d'être la seule à connaître.

Les choses se passent pour le mieux, mais si le temps qui s'égraine nous rapproche, . . . il finira par nous séparer quoique que nous fassions. La seule ombre qui reste au tableau est le sentiment de malaise qui s'installe entre Ragna et moi. Plusieurs fois j'ai essayé de lui parler mais rien n'y fait, elle élude systématiquement le sujet.

Pour ce qui est d'Ulrik, je ne l'ai pas recroisé depuis ce fameux jour dans la forêt. Dagny m'a rassurée en me disant qu'elle le voyait de temps à autre et qu'il se porte bien.

Depuis quelques jours, je suis angoissée sûrement à cause du temps qui s'adoucit. L'hiver touche tout doucement à sa fin alors que le printemps montre ses premiers signes.

Ce matin, je suis réveillée depuis quelques minutes et laisse les premiers rayons du soleil balayer mon visage. Je suis dans les bras de Thorsten, collée à lui alors qu'il a le nez plongé dans mes cheveux. Tout est merveilleux à part ce soleil annonciateur de la fin de l'hiver.

_ Cela fait longtemps que tu es réveillée ? Me demande-t-il en caressant mes cheveux.

_ Quelques instants seulement, répondis-je en lui souriant.

Il soupire doucement puis m'embrasse tendrement avant de prendre mon visage en coupe dans ses mains.

_ Tes lèvres me sourient mais tes yeux sont contrariés. Alors dis-moi ce qui te tracasse Eivor, termine-t-il avec un baiser plus langoureux auquel je réponds avec plaisir.

Notre moment d'intimité est interrompu par de violents coups contre notre porte. Puis la voix dure et grave de Gunnar se fait entendre impatiente. Thorsten me quitte à regret et rejoins son ami à l'extérieur.

Je me lève et vaque à mes occupations quand je laisse tomber ce que j'ai dans les mains. Les mots de Gunnar résonne dans mes oreilles et mon esprit comme une menace de mort imminente.

_ Nous allons enfin quitter cette îlot de malheur ! Audar a mouillé son navire dans la crique nord aux lueurs de l'aube . . . Nous rentrons enfin chez nous, Thorsten, . . . enfin nous rentrons chez nous, crie-t-il laissant exploser sa joie de retrouver son foyer.

_ C'est parfait mon ami, répond Thorsten aussi enjoué que Gunnar, allons prévenir les autres et préparons-nous à rentrer !

VikingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant