Chapitre 24

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Une fois le bateau amarré, des explosions de joie se font entendre sur le pont. Des cris, des pleurs de bonheur se mêlent au tumulte du débarquement. Puis doucement, le bruit diminue, . . . s'amenuise. Pendant un instant, j'ai presque la sensation qu'ils m'ont oubliée. Mais non, la porte s'ouvre sur des hommes de Audvar.

_ Lève-toi. Nous rentrons au château où tu seras présentée à notre jarl, me dit-il avec une pointe de dégoût comme si on me faisait un trop grand honneur d'être menée jusqu'à cet homme.

Étant restée cloîtrée dans cette pièce pendant la traversée, tous mes membres sont ankylosés et me mettre debout me demande beaucoup plus d'efforts que je ne l'aurais cru. Voyant l'homme qui m'attend dans l'encadrement s'agacer, je m'efforce d'accélérer le mouvement.

Une fois à l'extérieur, la lumière du soleil me brûle les yeux et je dois les protéger à l'aide de mes mains.

_ Dépêches-toi ! Nous sommes les derniers et j'aimerais arriver au château avant la fin de la nuit, . . . enfin avant la fin de la fête, plaisante-t-il avec son comparse.

Je me hâte autant que je le peux en faisant fi des douleurs que je ressens dans tout mon corps et de la tête qui me tourne par le manque de nourriture. Mais une fois le pied posé sur le sol de l'Irlande, je ressens comme une sensation de bien être. Une étrange impression d'être un peu comme chez moi, ce qui est totalement impossible car je n'ai jamais quitté mon petit village du Danemark.

Arrivée au pied d'un chemin escarpé qui nous mènera sur le haut plateau, je remarque qu'il y a une dizaine d'esclaves regroupés qui emprunte ce chemin des plus raides. Je constate rapidement que ces esclaves viennent tous de mon village et pendant un instant, mon cœur se gonfle à la vue de Frida. Ma seule envie est de courir me réfugier dans ses bras. Mais je risquerai de lui faire courir des risques. Je balaie les hommes et femmes que je vois mais ne repère ni Dagny ni Ragna.

Les premiers sont déjà presque en haut de ce sentier quand le viking derrière moi me pousse légèrement pour que j'avance à mon tour. La montée jusqu'à ce plateau est pour le moins éprouvante. Pourtant j'ai l'habitude de marcher mais le manque de nourriture de ces derniers jours associé à mes membres engourdis par le voyage ne me facilite pas la vie. Je crois bien ne mettre jamais déplacée aussi lentement.

Une fois au sommet, je marche plus facilement même si la tête me tourne encore. Je retrouve peu à peu mon souffle et je ne peux empêcher mes yeux de vagabonder tout autour de moi. Tout est déjà si vert alors que le printemps vient à peine de commencer, nous sommes bien loin du Danemark. La côte est rocheuse comme chez nous mais on sent que les températures sont plus clémentes ici. Nous marchons encore pendant plusieurs heures avant d'arriver près d'un village.

Pendant la traversée de celui-ci je constate à quel point ce clan est plus important que le notre. Pas étonnant qu'il ait réussi à anéantir le notre. Les hommes sont salués en héros alors que j'entends des moqueries à mon égard. Après tout je ne suis qu'une captive à leurs yeux, pourquoi en serait-il autrement ?

Une fois sortie du village, notre route se poursuit encore mais rapidement, j'aperçois un imposant château en pierre gris bleuté se dresser devant nous. Je suis subjuguée par la grandeur et la beauté de cette bâtisse. Dans la cour intérieur de celui-ci, l'effervescence qui y règne ne laisse nul doute au fait qu'une fête se prépare.

Les hommes saluent différentes personnes au fur de notre progression. Puis nous sommes regroupés dans un coin sombre de la cour. Je retrouve Frida qui me sourit sans oser m'approcher. Je répond à son sourire sans pouvoir empêcher les larmes de remplir mes yeux.

Mais je n'ai guère le temps de me laisser aller qu'une femme d'âge mûre s'approche de nous. Elle est tout simplement magnifique. Il émane d'elle beauté, grâce, élégance et exigence, tout à la fois. Ses longs cheveux blonds clairs mêlés de fils d'argent sont tressés avec élégance. Sa robe est ouvragée et elle a le port de tête d'une femme de haut rang.

_ Que nous amenez-vous là messieurs ? Questionne-t-elle les hommes qui nous accompagnaient. Alors qu'ils allaient répondre, elle les réduit au silence d'un simple regard.

Puis elle nous fait aligner et nous passe en revue un par un. Quand elle arrive à ma hauteur ses yeux bleus cristallins me détaillent avec précision. Pendant un instant, je pense même y déceler de la surprise qui se transforme rapidement en dégoût, . . . voire en haine. Ce qui me semble des plus violents sachant que je n'avais rien dit ou fait pour lui déplaire. Ou alors on lui dit que j'étais la fille du chef de clan qu'ils avaient vaincu.

_ Bien, reprend-t-elle avec aisance et autorité, nous aurons des esclaves pour les écuries, les chambres et les cuisines. Les plus méritants et travailleurs d'entre vous auront la chance d'être au service d'un des membres de la famille de votre nouveau jarl, Magnar.

Elle passe rapidement devant mes compagnons d'infortune puis elle s'arrête de nouveau devant moi et me détaille à nouveau. Ses yeux translucides plongent dans le vert des miens et se font durs comme de la glace. Ses lèvres se pincent puis elle commence à donner ses ordres et les affectations à mes compagnons sans jamais me quitter des yeux. Les hommes sont envoyés vers les écuries sans grande originalité et les femmes en cuisine ou comme femme de chambre.

Il ne reste plus qu'elle et moi. Elle ne me dit rien et continue de m'observer toujours aussi froidement. Puis elle se met à marcher en tournant autour de moi. J'ai l'impression d'être une bête curieuse. C'est alors qu'elle se met enfin à me parler.

_ Il n'y a pas à dire, tu lui ressembles. Même cheveux auburn, même visage, même beauté . . . exotique si l'on peut dire. Je n'ai jamais compris ce que nos hommes peuvent vous trouver . . . à vous . . . les irlandaises, termine-t-elle avec mépris et dégoût.

Je commençais à ouvrir la bouche pour lui dire qu'elle doit se méprendre, que je n'ai rien d'une irlandaise, que je suis une danoise née dans les contrées du Nord . . . Mais je n'ai pas le temps de parler que ses yeux perçants me réduisent au silence.

C'est alors qu'elle se place de nouveau face à moi et avance son visage près du mien. Sa main remet délicatement en place une mèche de mes cheveux derrière mon oreille. Ce geste anodin voir amical n'en est rien. Il lui sert juste à se rapprocher de moi pour pouvoir mieux déverser son fiel au creux de mon oreille.

_ Je sais exactement qui tu es et crois-moi tu n'obtiendras rien. Je te renverrai dans le Nord comme je l'ai fait avec elle avant toi. Tu n'auras rien de ce clan, de cette famille. Je te détruirai comme je l'ai détruite avant toi, termine-t-elle en souriant ce qui est bien pire.

Je suis encore sous le choc de ses paroles menaçantes et ne voit pas Thorsten arriver droit sur nous. Quand elle le voit, elle recule d'un pas et son visage se métamorphose. Il devient doux et aimant. Mais ce qui me bouleverse le plus c'est ce que je lis sur celui de Thorsten de la joie mais aussi de l'amour.

_ Comme je suis heureuse de te revoir mon fils, dit-elle en lui caressant le visage avec tendresse.

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