4. Partir

67 14 5
                                    

Alors qu'il partait sur les traces de Zoé, ce fut à Émile que pensa Maël lorsqu'il se glissa sous le grillage à la frontière dans un bruit de vêtements froissés. Émile. Ils s'étaient quittés en mauvais termes quelques jours plus tôt, lorsque Maël avait pris la décision de partir, immédiatement et de nuit. Le garçon regrettait de s'être ainsi querellé avec l'écrivain, mais il savait que ce dernier le lui pardonnerait. Si Émile s'était retrouvé à ses côtés en cet instant, s'il avait ressenti l'espoir qui s'emparait de lui, son ami aurait passé l'éponge en une seconde.

La Lune brillait d'un éclat dur dans le ciel noir. Ce fut sous son regard que Maël commença à marcher.

Le vent frais de l'automne s'enroulait autour de lui avant de filer droit devant. Il faisait gémir les branches des pins au-dessus de sa tête.

Il serra ses doigts sur les sangles de son sac à dos, les souleva de quelques centimètres pour en ôter quelques instants le poids de ses épaules.

Le monde la nuit n'était pas le monde. C'était un univers neuf, habité par un peuple qui s'éveillait quand celui du jour sombrait dans le sommeil. C'était une flaque de ténèbres qui bruissaient de paroles qu'il ne comprenait pas.

Maël se sentit soudain comme un étranger. Le royaume de la nuit n'avait rien à voir avec l'empire du jour. Il n'avait aucun repère, et même les étoiles inscrites au-dessus de lui ne lui livraient qu'une carte inintelligible.

Il inspira - l'air aussi était différent. Il lui fallait se remettre en marche, même si les événements récents continuaient à dérouler leur film désagréable dans son esprit.

—  Tu avais raison. 

Émile avait levé un sourcil interrogateur face à cette simple phrase, jetée par Maël lorsqu'il lui avait ouvert sa porte. Sans attendre d'y avoir été invité, le garçon était entré et avait refermé le battant derrière eux. L'écrivain avait voulu lui proposer de s'asseoir au salon, mais déjà l'adolescent reprenait :

— Je partirai ce soir. Je m'en fous du service. Je pars, avait-il répété avec force.

— Tu as ton exemption ?

— Pas besoin. Pas le temps. 

Le visage d'Émile s'était décomposé.

—  Attends, je ne t'ai jamais dit de t'en aller du jour au lendemain, comme un hors-la-loi. Je pensais que ton copain, là, Nathan, t'arrangerait le coup et qu'après...

— Je ne veux pas, répondit-il avec hargne. 

Les yeux d'Émile s'étaient mis à briller d'angoisse. Il avait secoué la tête et murmuré d'une voix que la peur rendait rapide et grave.

— Et tu as un moyen pour partir ? Un billet d'avion ? De train ? De l'argent ?

— Je m'en vais à pied, je me débrouillerai.

— Non. 

Le refus sonnait comme un grondement d'orage. Maël avait reculé d'un pas, heurté.

— Tu plaisantes ? C'est toi qui m'as donné cette idée !

— Oh non, ne déforme pas mes mots s'il te plaît ! Je ne t'ai jamais incité à te jeter sur les chemins, sans préparation, sans rien pour assurer ta sécurité. Et si quelqu'un d'autre l'a fait, Nathan par exemple, tu ne devrais pas l'écouter, crois-moi !

— Je suis plus en danger ici que nulle part ailleurs. Et j'ai pris quelques affaires, avait-il ajouté en désignant le petit sac à dos sur ses épaules.

L'écrivain avait secoué la tête.

— La tristesse ne te donne pas le droit de faire n'importe quoi ! Tu crois vraiment que tu vas traverser la frontière comme ça ? Sans visa ? Tu as pensé aux dangers que tu encoures ? À tes parents ? À...

Le Monde en MorceauxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant