25. L'Ailleurs

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— Bonjour, Monsieur Adelis. Je suis le Docteur Reklan Solon. Comment allez-vous aujourd'hui ?

Maël reconnut la voix. C'était le second psychiatre, qui devait intervenir, lui avait-on dit, pour réaliser une seconde expertise. Celui qui avait prétendu se soucier de son confort.

Technique classique de manipulation. L'entretien avec le docteur Paran s'était mal terminé, le nouveau médecin se présentait alors, affable, pour l'inciter à se confier.

Ils ne s'étaient pas encore entretenus, mais le garçon se doutait bien qu'il avait épié ses moindres faits et gestes, aussi rares avaient-ils été ces derniers jours.

— Comment trouvez-vous que je vais ? rétorqua Maël d'une voix rauque. C'est plutôt cela, la question, en définitive.

Reklan Solon s'assit avec lenteur à la table et le dévisagea longuement. Ses iris étaient d'un bleu pâle qui tirait sur le gris. Maël eut tout le temps de le constater, ses yeux rivés aux siens.

Le garçon se doutait de la suite : « Vous vous trompez, jeune homme. Je suis là pour vous écouter vous et vous aidez. »

L'homme relâcha son attention pour s'appuyer contre le dossier de la chaise.

— Je trouve que vous paraissez plus serein, répondit-il d'un ton tranquille, presque détaché. Comme quelqu'un qui a fini par accepter.

Maël se figea. Se pouvait-il que...

— Comme quelqu'un qui a fait son deuil.

Le garçon pâlit.

Reklan Solon venait d'asséner cette phrase en se concentrant à nouveau sur lui. Maël tressaillit face à l'impact de son regard, tiqua une nouvelle fois lorsque le médecin se pencha vers lui.

— Avez-vous la sensation d'avoir fait votre deuil, Maël ?

Ses mains se mirent à trembler alors qu'une irrésistible envie de partir en courant le saisissait. Mais le regard de Reklan Solon posé sur lui le maintenait à sa chaise plus sûrement qu'un aimant. Il murmura :

— Je crois...

Le médecin acquiesça.

— Vous avez beaucoup souffert, Monsieur Adelis. Vous avez le droit de laisser tout cela derrière vous. Vous n'êtes pas responsable de ce qui est arrivé à votre amie et vous avez fait tout ce qui était en votre possible pour l'aider.

— C'est faux, s'étrangla Maël, je...

— Vous n'avez pas été présent certaines fois ? l'interrompit-il. Parce que vous ne le pouviez pas. Parce que c'était trop lourd à porter. Vous avez le droit de vous être épuisé, le droit aussi d'avoir fait des erreurs. Je vous le répète : vous avez fait tout ce qui était en votre possible. Qu'importe si ce possible n'est pas l'idéal. Nous sommes d'accord ?

Le garçon inspira. Il passa une main tremblante sur son visage, cueillit une larme du bout des doigts. La gorge serrée, il finit par opiner.

— Bien.

Ce seul mot déclencha une inexplicable crise de larmes. Maël se mit à sangloter. Reklan Solon se tut une longue minute, le temps que le garçon puisse le regarder sans se mettre à pleurer.

Alors seulement, l'homme lui demanda :

— Où se trouve pour vous Zoé Darell en ce moment, Monsieur Adelis ?

L'adolescent mit plusieurs secondes avant d'arriver à ouvrir la bouche.

— Ailleurs.

Reklan Solon demeura silencieux, s'attendant peut-être à ce qu'il développe. Il ne releva pas cependant la brièveté de sa réponse et poursuivit :

— Et vous ?

— Ici. Dans le monde, avec ceux qui restent.

— Comment vous sentez-vous face à ce constat ?

— Apaisé.

—Sauriez-vous me dire pourquoi ?

— Non.

— Ce n'est pas grave. Cela viendra. Souvenez-vous de cet instant, Maël.

Reklan Solon esquissa un sourire et se leva.

— Vous êtes libre, Maël. La vie s'ouvre à vous. Néanmoins, je demeure à votre disposition, si vous souhaitez vous entretenir avec moi. Bonne route.

Le garçon acquiesça, désorienté. « Vous êtes libre » Comme cela, si simplement ? Reklan Solon ne semblait pourtant n'avoir rien à dire de plus et se dirigea vers la porte.

La main sur la poignée, il se tourna une dernière fois vers lui.

— N'oubliez pas, Monsieur Adelis : il y aura toujours des gens pour faire briller les étoiles.

La phrase résonna dans le silence.

La porte se referma avec un cliquètement.

Maël enfouit son visage dans ses bras et se mit à pleurer.





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