12. En perdition

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« Zoé »

Maël avait-il prononcé son prénom ? Il ne savait pas.

Sa gorge l'irritait, ses lèvres le tiraillaient. Il avala une goulée d'un air sec sans avoir la force de tousser.

« Je te déteste, Zoé. Pour m'imposer ça. »

Sa jambe céda une nouvelle fois sous lui et il s'écroula sur le sable qui s'insinua sous ses vêtements en une traînée brûlante.

Le sable... Il s'étendait à perte de vue, en dunes ocre aux lignes douces, comme un véritable paysage de carte postale. Un piège mortel.

Était-il en Australie ? Sur un autre continent ?

Pour n'importe qui, cela n'aurait pas constitué un problème. Les portables et systèmes de communication faisaient eux aussi les frais d'un transfert moléculaire qui permettaient aux utilisateurs du réseau de joindre la compagnie de téléportation.

Sauf que Maël n'avait pas de portable.

Il s'allongea sur le sol, écrasé de soleil. Il se sentait nauséeux, le cœur tambourinant à un rythme effréné pour tenter de juguler sa température corporelle, les membres lourds et le crâne prit dans un étau monstrueux.

« Pourquoi est-ce que j'ai fait ça ? Pourquoi est-ce que j'ai fait ça ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? »

Maël secoua la tête et se redressa. Il avait sans doute commis une erreur mais se lamenter ne servait à rien. Il se retrouvait dans un pays inconnu au milieu d'une fournaise. Il était en danger de mort. Il était exténué, effet de la désintégration et de la panique. Il devait se reposer quelques instants. Puis impérativement se remettre à marcher.

Réfléchir par phrases courtes l'aida à se concentrer. Il s'offrit encore vingt secondes de répit, puis il rassembla ses forces et se releva. Le soleil au zénith quelques minutes plus tôt entamait sa descente. Il se dirigea au jugé vers le Nord.

Les heures commencèrent à s'écouler, dans la lente torpeur des gestes répétés. Un pied devant l'autre, les bras étendus à l'horizontale pour conserver son équilibre dans le sable qui s'égrenait sous ses pas. Une pause, le temps d'avaler un filet de salive pour apaiser sa gorge asséchée, et repartir.

Maël fixait ses pensées sur Zoé, sourd à la voix en lui qui la maudissait pour cette épreuve que son absence lui faisait subir. Il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même.

Perdu dans ce paysage désolé, elle lui manquait plus que jamais. Il se rappela le parc public, un goût de glace vanille, le cri indigné de Zoé quand il avait effleuré sa crème glacée de la pointe de la langue, eux trempés à la sortie d'un cinéma, un vers d'un poème qu'elle avait récité.

La fatigue finit par déposer un voile sur son esprit. Les souvenirs se firent confus. Une porte qui claque. Son poignet fin. Son corps frêle recroquevillé sur un lit. Dans la lumière désormais tombante du jour, il lui sembla apercevoir l'empreinte de son pied nu sur le sable devant lui.

Il vacilla, sentit l'épuisement s'abattre sur lui comme un marteau, tenta de rétablir en vain son équilibre et s'écroula. Il avait froid, soudain. La nuit s'installait et, avec elle, une température glaciale.

« Connais-tu un froid pareil, là où tu es ? »

— Tais-toi, pauvre idiot. Arrête de penser à moi et creuse.

— Hein ?

— Creuse, lui intima Zoé.

L'idée le traversa qu'il devenait bel et bien fou.

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