3. Nocta Irae

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Maël et Nathan regagnèrent la villa Phœbé. L'orchestre avait ouvert le bal quelques minutes plus tôt, et les couples se formaient sur le parquet du Grand Salon pour épouser le rythme de danses élégantes.

Maël chercha d'instinct un endroit isolé des danseurs. Il ne connaissait pas ses pas que quelques aristocrates seulement continuaient de pratiquer, juste le valse -Zoé la lui avait apprise. Il avait entendu dire que du temps de la démocratie, des bals populaires avaient lieu, et de nombreux enfants pratiquaient cet art, dans un style ou un autre. Avec la Monarchie, cela était devenu une activité réservée à la Noblesse, discipline qui s'était peu à peu standardisée jusqu'à n'admettre en son sein que les pas les plus classiques.

— Il y a des fauteuils dans le fond, indiqua Nathan. Je vais nous chercher des verres, je reviens. Faut te détendre, Ma.

Il acquiesça et se dirigea vers l'espace désigné par son ami. Un homme de peut-être vingt-cinq ans s'y trouvait déjà avachi, un coupe vide à la main.

Il restait de nombreuses places à ses côtés et Maël s'installa avec un sourire qu'il espérait avenant.

— T'es quel genre de gueux, toi ?

Le jeune aristocrate avait prononcé la question d'une voix pâteuse qui trahissait son ébriété avancée et le garçon choisit de l'ignorer, bien qu'il se sentît vexé.

— Oh, je te parle, roturier !

L'adolescent se crispa et se redressa pour tenter d'apercevoir Nathan. Celui-ci s'était fait arrêter par un invité et se trouvait en pleine conversation.

— Ah, mais attends, je te connais non ?

L'éméché se leva d'une démarche vacillante et s'accroupit face à lui pour discerner son visage. Le garçon le reconnu alors. C'était Eugène de Tourmonde. Deux ans plus tôt, ils avaient tous les deux étés dans la même classe de seconde, avant que la Monarchie ne s'installe et qu'Eugène soit admis dans un lycée réservé aux Nobles. Maël recula au fond du siège pour échapper à l'haleine avinée. Il demeurait cependant encore trop près pour ne pas entendre la phrase que l'autre prononça :

— T'es l'type qui s'est entiché d'c'te catin d'Zoé, non ?

Maël sentit le sang quitter son visage.

— Qu'est-ce que tu as dit ? gronda-t-il.

Son interlocuteur ne sembla pas percevoir la colère qui sourdait en lui et il leva son verre en braillant :

–N'bonne chose qu'elle soit plus là c'te traînée.

Maël cessa alors de réfléchir. Il se jeta sur l'homme ivre, le renversant sur le dos tandis que la cible de sa colère lâchait son verre dans un cri de surprise.

— Retire ce que tu viens de dire ! hurla-t-il en le saisissant au col.

Le noble n'émit qu'un petit gargouillis, son esprit déjà embrumé par l'alcool peinant à analyser la situation.

Excédé, Maël ne réfléchit pas lorsqu'il lui envoya son poing en plein visage. De quel droit ce soûlard se permettait-il d'insulter Zoé ? Comment osait-il ? La rage brûlant ses veines, il réarma son bras.

Un hurlement se fit alors entendre, dissipant d'un seul coup sa folie. Il réalisa que l'aristocrate étendu sous lui avait perdu connaissance. Un cercle s'était formé autour d'eux. Une femme, visiblement choquée, le regardait en pressant sur sa bouche ses doigts tremblants.

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