18. Folie

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La porte s'ouvrit dans un grincement. L'instant d'après, le plafonnier s'alluma en clignotant, diffusant dans la pièce une lumière crue qui obligea Maël à fermer les yeux.

— Monsieur Maël Adelis, je suis le docteur Paran. Je suis là pour vous aider.

Le garçon garda les paupières closes, tentant tant bien que mal de remettre de l'ordre dans les événements. L'hélicoptère dans la nuit, l'homme aux yeux de loups, le docteur. Les hommes, des français qui lui avaient pointé leurs cartes d'agents du renseignement sous le nez, lui avaient ensuite demandé de confirmer son identité et rappelé les charges qui pesaient contre lui. Au bout de trois heures, l'hélicoptère s'était posé sur le toit d'un immeuble. Il était descendu de l'appareil, on l'avait conduit à travers une multitudes de couloirs identiques.

Il y avait eu ensuite des vêtements propres, un repas un peu fade, un calmant et une cellule de détention dépouillée. Puis son avocat était venu le visiter. Il avait été payé par le père de Nathan, lui apprit-il, et il paraissait visiblement aussi heureux d'être là que son client. La somme avancée par le propriétaire de la villa Phoebée avait dû être colossale. Assez importante en tout cas pour qu'il accepte de sacrifier sa réputation auprès de la noblesse afin de défendre le plébéien qui avait fait outrage à cette-dernière. Le garçon n'avait pas retenu grand chose à son discours, si ce n'était qu'il lui fallait mieux garder le silence. On était venu lui demander également des précisions. Pourquoi s'était-il enfui ? Etait-il bien entré illégalement dans un centre de transfert et procédé à une dématérialisation sauvage ? Où s'était-il caché ? Avait-il rejoint un groupe démocrate ? Cela lui avait valu l'hystérie de son avocat à sa deuxième visite, mais il avait tout déballé, exception faite de l'existence du Pas de l'Ogre et de sa motivation à trouver Zoé, le premier parce que Sham l'aurait tué, la seconde parce que cela lui appartenait.

Enfin, on lui amenait à présent un nouveau docteur. Un psychiatre, c'était écrit sur sa blouse. On avait dû trouver son récit suffisamment dingue pour émettre des doutes sur sa santé mentale. Cette fois-ci, l'avocat avait paru soulagé : Maël déclaré fou, il pourrait plaider l'irresponsabilité pénale, et, s'il gagnait, la noblesse ne le renierait pas pour avoir fait innocenter un coupable, puisque culpabilité il n'y aurait plus.

— Monsieur Adelis ?

— Ecoutez : je sais que j'ai frappé un noble. La colère m'a dépassé, je n'étais peut-être pas tout à fait lucide sur l'instant, mais je ne suis pas fou.

Si son avocat avait été dans la pièce, il se serait sans doute arraché les cheveux une seconde fois mais Maël s'en souciait peu.

— Ma présence n'a pas seulement pour but d'éclairer la question de votre responsabilité face aux charges qui pèsent sur vous, Maël. Je suis aussi là pour vous offrir une écoute. Votre comportement récent me fait penser que vous souffrez : je cherche à vous comprendre pour vous permettre d'aller mieux. Souffrez-vous, Maël ?

La voix était caressante, taillée pour le pousser à se confier. Ce n'était pas une mauvaise chose en soi, nombreux étaient ceux sur Terre qui avaient besoin de personnes comme le docteur Paran. Mais le garçon ne voulait pas parler, pas à cet homme, pas dans ces conditions.

— Je ne souffre pas.

— Monsieur Adelis...

— Je vais mieux, docteur.

— Mieux. Vous reconnaissez donc avoir été dans un état psychique défaillant au moment des faits ?

— Je vous l'ai dit.

— Votre déposition indique que vous avez frappé cet homme lorsqu'il s'est mis à parler d'une certaine Zoé. Nos services ont établi qu'il s'agissait de Zoé Darell mais vous n'avez pas confirmé ces dires. Ce nom vous dit-il quelque chose ? Avez-vous le souvenir d'avoir entretenu une... relation particulière avec cette personne ?

Il avait posé ces deux questions avec dans la voix une patience infinie qui agaça Maël. Il le prenait véritablement pour un demeuré.

— Je n'ai pas confirmé parce que je suis fatigué que l'on dissèque ma vie privée, docteur. Mais je me souviens très bien de Zoé Darell. Elle était ma petite amie, nous avons été deux ans ensemble, puisque vous voulez tout savoir.

— Loin de l'idée de m'introduire à outrance dans votre vie privée, Maël.

« Tu parles », songea le garçon. Le médecin se pencha sur le carnet posé sur la table et y griffonna trois mots avant de les masquer avec son bras, mais son patient eu le temps de lire « Délire de persécution ? », et il serra les mâchoires.

— Bien, poursuivit le docteur Paran sans relever sa fureur. Parlons un peu de votre fuite, voulez-vous ? Aviez-vous déjà eu des envies de fugue ? Fait des tentatives ?

— Non.

— Diriez-vous que vous avez choisi consciemment de partir, Maël ? Vous y a-t-on forcé ou vous a-t-on influencé ? Ou peut-être... avez pour le sentiment d'y avoir été poussé par une force que vous ne vous expliquez pas ?

— J'ai choisi de partir, docteur.

— Diriez-vous que vous avez-vous déjà réalisé des actions sans vouloir consciemment les réaliser ? Avez-vous déjà eu l'impression d'agir comme si vous étiez en dehors de vous-même ?

— Non.

— Avez-vous eu peur lors de votre fuite ? Vous est-il arrivé de vous sentir désorienté ? De ne plus savoir pourquoi vous partiez ?

— Non.

L'homme le dévisagea quelques secondes avant de se pencher pour écrire à nouveau une courte phrase que Maël ne vit pas. Puis il se renversa sur son siège en faisant tourner machinalement son stylo entre ses doigts.

— Dans ce cas, Monsieur Adelis, pouvez-vous me dire ce qui vous a poussé à partir ? Vous aviez peur ? Vous cherchiez à fuir la justice ? Vous ne vous sentiez pas capable d'assumer votre acte ?

Il l'avait interrogé comme on questionnerait un enfant qui aurait fait une bêtise et Maël se tendit. Il sentait l'implacabilité de la justice monarchiste peser sur lui. Voilà ce qu'il était à ses yeux : un enfant, un membre du peuple ignare et imbécile, toujours coupable, jamais victime ; un mouton du troupeau qu'il fallait guider sur le chemin tracé au service des élites nobiliaires. Maël sentit la colère l'embraser et, par bravade, il lança :

— Je n'ai pas peur de vous. Je suis parti pour la retrouver.

Une expression perplexe tomba sur les traits du psychiatre, tandis que son regard s'allumait d'une lueur marquée d'intérêt. Le stylo cessa ses rotations entre ses doigts.

— Retrouver qui, Monsieur Adelis ?

Maël se figea. Au ton cassant du docteur, il comprit qu'il avait fait une erreur.

L'homme attendait, patient, et le garçon comprit aussi qu'il ne le lâcherait pas. Alors il dit, dans un souffle :

— Zoé Darell.

Le visage du docteur resta impassible, mais pas ses yeux. Une profonde surprise mêlée d'inquiétude les traversa. L'homme referma avec sécheresse son carnet et se leva sans poser d'autres questions, manifestement tout à coup bien plus désireux de transmettre les informations qu'il avait recueilli que de venir en aide à Maël. Le garçon chercha dans son esprit la cause de cet empressement mais ne la trouva pas.t

— Je vous remercie, Monsieur Adelis. Je reviendrai vous voir.

Le débit de sa voix avait augmenté bien que son ton fut toujours neutre. Il traversa à grandes enjambées la distance qui le séparait de la porte.

Le verrou tourna avec un bruit grinçant qui résonna dans la cellule.

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