16. Les souvenirs

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—  Il y a tellement de choses que je regrette...

***

— C'est de ta faute ! C'est de ta faute !

Maël fixe avec stupeur Julie dont le visage ruisselle de larmes.

— Ma... ma faute ?

— Tu n'as pas idée du mal que tu as fait, articule-t-elle.

Le garçon sent le sang quitter ses joues. Ses poings se crispent et son amie — est-elle encore seulement son amie ? — relève la tête dans un air de défi. Comment ose-t-elle asséner une telle phrase ? Comment ose-t-elle alors que Zoé vient juste de...

Il ferme les paupières.

— Et toi, alors ? Tu n'as jamais été là. Tu l'as laissée tomber !

— Et toi tu lui as dit de partir ! s'exclame-t-elle.

— Il le fallait ! hurle-t-il dans un cri qui lui déchire les cordes vocales et se répercute sur les murs de l'entrée.

Julie recule d'un pas, heurtée.

— Elle aurait pu rester encore. Elle aurait pu...

Maël secoue la tête. Les traits de Julie se contractent de mépris et de rage. Elle a le regard rendu fou par la douleur. Pendant un instant, il croit qu'elle va le frapper.

Une part de son esprit aimerait apaiser la jeune fille, une autre est submergée par la colère que ses mots ont fait naître en lui. Il a été pris de court quand elle s'est présentée à sa porte, lui faisant renouer brutalement avec le cours tragique des événements.

— Julie...

— Non. Tais-toi.

La voix de l'adolescente claque. Il renonce à expliquer. Une larme roule sur la joue de Julie et il suit le sillon clair qu'elle laisse sur sa peau.

— Je te déteste, Maël.

Elle écrase la larme, une autre suit qu'elle renonce à essuyer pour planter deux yeux plein d'aigreur au fond des siens.

— T'entends ? Je te déteste !

Elle le regarde une dernière fois au fond des yeux, renifle et tourne les talons.

Il fixe son écharpe jaune jusqu'à ce qu'elle s'engouffre dans la cage d'escalier qui déverse dans le couloir de l'étage une bourrasque froide du mois de novembre.

***

Julie avait-elle raison ce jour-là ? Était-ce de sa faute si Zoé s'en était allée ?

***

Les feuilles des arbres dégorgent de pluie. Paris paraît plus sale sous les trombes d'eau. L'air exhale une odeur de goudron humide et de végétaux mouillés. Les pots d'échappement soufflent sur les passants leurs haleines tièdes et âcres.

Maël ne le sait pas encore à cet instant, mais Zoé partira dans deux semaines. Elle a le teint hâve et fatigué. Il a conscience que la vie ici l'épuise, mais elle trouve la force de sourire à ce couple d'amoureux qui s'embrassent sur un banc gravé de mille inscriptions. Maël savoure ce sourire qui se faisait plus rare depuis quelques semaines. Il caressa la main de Zoé prise sur son bras comme pour lui dire « Moi aussi, je t'aime. »

— Ça me fait du bien de sortir, même s'il fait froid, fit Zoé.

Maël ne sait pas ce qui l'alerte à ce moment. Peut-être le ton trop badin de la jeune fille, peut-être l'extraordinaire banalité de sa phrase. Il se tend mais répond :

Le Monde en MorceauxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant