26. Des bras pour enserrer le vide

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Les voitures le frôlaient à toute allure. Les sons des pots d'échappement enflaient dans ses oreilles à lui exploser les tympans.

Il avait enfoncé ses mains dans ses poches, calquant ses pas sur ceux de ses parents, les yeux écarquillés sur le trottoir sale.

Il sentait la tension, le besoin de parler, le sien, le leur. Il entendait surtout, avec plus d'acuité encore, le silence entre eux, indépassable pour l'instant.

Sa mère lui glissa un énième regard en biais, il le lui rendit, chercha à le capturer ; échoua.

« Je suis désolé ». Voilà ce qu'il aurait aimé dire. Il n'y arrivait pas, peut-être parce que c'était faux. Il regrettait l'absence, mais il était soulagé. Pas de remords dans son cœur.

Nouveau regard de sa mère. Cette fois il ne lui permit pas de filer et tenta un sourire hésitant, auquel elle répondit. Lentement, il leva la main vers elle. Ses doigts s'enroulèrent immédiatement aux siens, naturellement. Il s'approcha d'elle et laissa retomber sa tête sur son épaule.

Ils se taisaient toujours.

C'était suffisant.


***


La porte d'Émile n'était pas fermée à clé. Maël entra dans l'appartement avec lenteur, après avoir frappé en vain quelques coups au panneau.

Il entendait un bruit de papiers qu'on fouillait frénétiquement en provenance de la chambre, Émile devait tenter de remettre de l'ordre dans ses notes. L'adolescent claqua la porte et le bruit s'arrêta.

Maël sentit son cœur accélérer. Il avait quitté Émile au terme d'une dispute, il était légitime que l'écrivain le congédie immédiatement. Il lui avait fallu plusieurs jours à la sortie de sa garde à vue pour oser franchir la porte de l'immeuble haussmannien.

Émile apparut enfin dans le couloir et s'immobilisa. Il faisait trop sombre pour que Maël distingue son visage.

Son ami ne prononça pas un mot. Il se contenta d'avancer vers lui, impassible, et le garçon dut se faire violence pour ne pas reculer. Puis d'un mouvement brutal, Émile l'attira contre lui.

— Tu m'as fait peur, pauvre crétin !

Il ne fallut pas plus que ce contact et cette phrase pour que Maël se mette à pleurer. Les bras d'Émile le serrèrent plus fort.

— Refais ça une seule fois petit, et je te jure que tu ne me revois plus, souffla l'écrivain dans un murmure étranglé.

Maël ferma les yeux, submergé par une tempête d'émotions.

— Je suis désolé...

Sa voix était rauque et hésitante, presque inaudible. Il reprit, plus fort :

— Émile, je suis désolé...

— Je sais gamin, chuchota son ami. Je sais.

Les sanglots du garçon se muèrent en un cri aigu. Il pressa son visage contre l'épaule d'Émile qui posa une main maladroite sur sa tête.

Bien sûr qu'Émile savait. Il savait tout, depuis le début. Il se tenait là, tapi dans de nombreux de ses souvenirs. Il les avait observés, Zoé et lui. Il avait accompagné leur lente épreuve, patient et attentif.

Et lui, comme un idiot, il l'avait rejeté, il l'avait rendu responsable de sa propre douleur. Comment avait-il pu être ?

— Maël...

Son ton était empreint de gravité. Instinctivement, le jeune homme se crispa.

— J'ai eu peur pour toi chaque minute. Je ne peux pas dire que je ne t'en veux pas, parce que je te mentirai : tu m'as fait passer une belle collection de nuits blanches. Mais je comprends, tu le sais que je comprends, n'est-ce pas ?

Maël serra les paupières et acquiesça.

— J'ai conscience que c'est aussi un peu ma faute. Je n'ai pas fait assez attention à mes paroles.

— Non, tu...

— Si. Je ne peux pas ignorer ma part de responsabilité et je te demande pardon.

Émile prit une inspiration.

— Mais maintenant je veux juste que tu saches que tu vas y arriver. Tu as de la force, Maël et son amour aussi. Laisse tout cela te guider et t'apaiser à présent.

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