10. Les questions

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Le téléporteur se dressait à deux kilomètres. Un centre ultrasécurisé en béton, entouré de multiples barbelés et bardé de caméras.

— Esméralda va réellement me tuer cette fois, tu sais ?

Maël offrit une grimace compatissante à Sham, même si ce dernier semblait cette fois plaisanter. Il lui avait extorqué avec peine la localisation du téléporteur. L'homme avait fini par céder, par sympathie pour lui.

Maël savait que Sham s'en mordait désormais les doigts. Il craignait pour la vie du garçon. Quelques minutes plus tôt, il l'avait encouragé à rentrer chez lui, à recentrer sa quête sur des objectifs moins fous — il n'était pas nécessaire de partir au bout du monde pour trouver des réponses aux questions qui le taraudaient.

Le garçon lui avait opposé un refus inébranlable, et s'il regrettait d'inquiéter cet homme qui était devenu son ami, il demeurait résolu.

— Comment on entre ?

— Comment tu entres. C'est déjà suffisamment périlleux seul, à deux on se ferait prendre à coup sûr. Dans une heure et demie a lieu le changement d'équipe. Je vais te filer un badge personnel trafiqué. Il t'ouvrira la porte mais n'enregistrera pas ton identité sur le serveur. Tu te rendras sur un des téléporteurs de secours, couloir H, étage quatre. Privilégie la salle numéro deux. Tu devras rentrer ta destination en ayant au préalable branché cette clé USB (Sham lui tendit un petit sachet plastique où se trouvait l'objet en question), elle contient un programme qui effacera tes traces après ton départ. Ne te téléporte pas dans un autre centre, préfère un atterrissage sauvage et loin de toute activité humaine : des ondes électromagnétiques y sont souvent liées et elle brouille la téléportation.

Il acquiesça.

Il devait se mettre en route dans une vingtaine de minutes pour arriver dans le flot des autres employés. Sham déployait des efforts considérables pour masquer son inquiétude. La téléportation fonctionnait par désintégration puis réassemblage cellulaire, ce qui rendait l'opération risquée. La téléportation intercentre avait l'avantage indéniable de conserver à coup sûr l'intégralité des cellules du voyageur par la mise en place de canaux sécurisés. Tout problème lié à cette seconde étape pouvait aussi être corrigé efficacement par le personnel du centre. Un atterrissage sauvage s'avérait donc périlleux, non seulement parce qu'en cas d'erreur on se retrouvait démuni, mais aussi puisque, une fois le centre le plus proche atteint, les cellules quittaient les conduits protégés pour rejoindre le réseau quantique public. Certes, la technologie était performante, les accidents rares, les piratages complexes et donc peu fréquents, mais Maël courait toujours le risque d'arriver en Australie avec un bras ou un morceau de cerveau en moins.

Le garçon lui n'avait pas peur. Il fixait le centre de téléportation qui clignotait dans la nuit. L'adrénaline bloquait ses émotions et ses pensées. Il se laissait juste bercer par l'idée que, bientôt, il retrouverait Zoé.

— Sham ?

— Mmmh ? fit l'homme perdu dans ses réflexions.

— C'est quoi, ta quête, à toi ? Celle qui t'a amenée jusqu'au pas de l'Ogre.

Sham ne répondit pas tout de suite et Maël lui jeta un coup d'œil en biais, étonné de son silence.

— Tu ne veux pas m'en parler ?

Mais déjà il ouvrait la bouche :

— C'est mon fils.

Sa voix était douce et triste. Elle cueillit Maël au creux du ventre.

— Je ne viens pas de ton royaume, Maël, continua-t-il. Nous n'y avons pas la sécurité dont tu jouissais, parce que tu en jouissais, quel que soit l'animosité que tu lui portes. C'est un beau royaume, un royaume de vent et de sable, mais dans le mien, on meurt d'une fièvre. D'une simple fièvre.

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