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Enfin rentré chez moi, j'essaie de remettre de l'ordre dans mon esprit. Non sans difficulté. Le soleil est encore assez haut dans le ciel, pénétrant mon cubique appartement de ses impitoyables rayons. J'ai envie d'être comme eux, clairvoyants. Rien ne me semble plus encombrant à cet instant. Pourtant je n'ai d'autre choix.

J'ai assurément confondu admiration et attraction. J'ai transformé la beauté physique de Rafael en une possible vibration du cœur. J'ai connu la sentimentalisation de ce qui n'est autre qu'une contemplation de l'esthète. A l'instar des adolescents qui pourraient tomber amoureux des photographies de leurs idoles, je me suis laissé emporter par un subjectif éclat.

Est-ce si grave ? Non. Bien sûr. Mais je dois bien avouer que cette réaction me surprend. J'ai enfin laissé éclater le cœur qui bat dans ma poitrine. J'ai accepté que cette pompe cardiaque ne soit plus cantonnée à son rôle biologique. Enfin, clameraient mes amis. Sûrement avec raison. Je me suis égaré, voilà tout.

Je retrouve enfin mes esprits, aussi. Les quelques heures de la matinée et de ce midi m'ont éprouvé. J'ai vécu de nouveau des situations qui m'avaient profondément meurtri. J'ai retrouvé de fidèles amies. Qui aurait pu rester insensible avec un tel méli-mélo de sentiments ? Personne, je le crois. Je l'espère.

Reste en suspens ce nouveau problème. Ces emails. Ce n'est clairement pas Rafael, qui était à mes côtés au moment de l'envoi de l'email. Ou bien aurait-il fallu qu'il le programme. Nous rentrons dans un niveau de sophistication que je n'ose réel. Surtout, il avait l'opportunité de me parler. Ce serait tout de même machiavélique de m'écrire ainsi.

De se citer, surtout, désormais. Ce serait atteindre une telle perversité que je ne veux pas déceler chez Rafael. Toujours est-il que le seul énoncé de ce prénom vient de définitivement éluder la possibilité d'Alejandro. Les promotions ne se connaissent pas. Il aurait pu se renseigner après tout ? Mais je n'y crois pas.

Les messages sont teintés de désarroi, pas de revanche. Pour ainsi quasiment enquêter sur les étudiants avec qui je passe du temps, il faudrait élaborer des stratagèmes que seul un esprit profondément perturbé peut envisager. Je dois donc me tourner vers les camarades de Rafael. Que je revois demain en cours.

Je crois qu'il ne me reste plus qu'une seule possibilité. Répondre. J'ouvre donc mon ordinateur portable, confortablement installé sur la méridienne de mon salon. J'avais acheté une bouteille de vin blanc, un liquoreux. Quel bonheur. Peut-être que les quelques émanations d'alcool qu'il contient me donnent la force d'agir ainsi. Probablement même.

Mais je suis conscient. Parfaitement. Je sais que je prends un risque. Je pourrais laisser cet admirateur secret de son côté, son fantasme se perdant peu à peu avec le temps. Je n'en ai pas envie. Bianca a raison quand elle affirme avoir percé en moi le retour de l'homme. Je reviens à moi, je reviens au monde. Être sédentaire a considérablement modifié mon esprit.

Les deux messages sont juste sous mes yeux. Cette adresse aussi. mtmd03@gmail.com. Difficile d'en tirer un quelconque enseignement. Si ce n'est que la protection de ses données personnelles semble peu l'importer. Ou encore que des consonnes uniquement composent cette adresse.

Il me faut donc choisir les mots. Chaque mot compte. Il n'a rien laissé au hasard. Du moins pour le premier. Le second message laisse visiblement son cœur s'exprimer. Ce qui est tout à mon avantage pour découvrir son identité. Ses motivations. Juste comprendre. Savoir. Déceler la vérité. J'en ai bien le droit.

Il. Alors que plus aucune raison ne justifie que je masculinise mon interlocuteur, je crois que je m'y complais. Le sursaut émotionnel que j'ai connu avec Rafael m'a fait accepter l'absurdité du monde. Ce n'est pas un homme ou une femme que j'ai apprécié. Non, c'est un sourire, un comportement, une démarche.

Special Teacher (B&B)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant