Oui, les conférences vont reprendre. Mais peu importe. Je viens de blesser un de mes étudiants. Pour la première fois. Je viens de blesser un jeune homme. Pour la première fois. Et je ne suis pas sûr de savoir pourquoi. Je n'arrive pas à comprendre sa réaction, ni même la mienne. La manière dont j'ai fui, dont j'ai évité la réalité.
Rafael vient de me mettre en face de mon propre comportement. Partir. Moi qui me targue en permanence de vouloir mieux connaître mes étudiants, j'ai éludé toute possibilité que cette démarche vienne de lui. A croire que je dois en être l'initiateur. C'est simplement monstrueux. Je me sens profondément humiliant. Non pas humilié, humiliant.
Alors je marche, encore, pour retrouver Concepción avant que l'après-midi ne redémarre. J'ai besoin de lui parler. Qu'elle m'aide à éclaircir la situation. Les émotions de ce matin ont été si fortes que mon esprit est brouillé. Comme si une drogue avait engourdi mes sens, et surtout mon humanité. J'ai souillé l'esprit même d'humanité que j'ai toujours défendu.
Il faut aussi concevoir qu'en quelques heures, s'est précipitée autour et sur moi une multitude de situations complètement hors du commun. J'ai livré pour la première fois tous mes sentiments à l'égard de la drogue, et de ce terrible moment passé au téléphone. J'ai accueilli contre moi des étudiants et des collègues effaçant à jamais nos fonctions et nos statuts. J'ai retrouvé la femme que j'ai failli aimer. J'ai repoussé un des mes étudiants qui voulait se confier. J'ai reçu cet étrange message sur ma boîte email. Et je perds pied.
Concepción est à quelques mètres désormais, en vive et éclatante discussion avec Bianca. Ce n'est pas une si mauvaise nouvelle, je la crois capable de m'aider elle aussi. Après tout, c'est son domaine, démêler les émotions des êtres humains. Je m'approche alors que mon téléphone se met à vibrer intensément. Maximino. Parfait.
Après avoir décroché et raconté en quelques mots la situation à mon ami, je reviens près du duo et les dérange :
« Je peux vous parler quelques secondes ? Sans vous déranger.
— Dis nous tout mon chou, lance Bianca.
— Bonjour à toutes les deux ! crie au téléphone Maximino.
— Maximino est au téléphone, j'aurais aussi besoin de son avis, précisai-je.
— Salut Max ! Ça va ? reprend Bianca.
— Bonjour Maximino, heureuse de vous réentendre, énonce simplement Concepción.
— Tout va bien, merci. Alors, Florent, que se passe-t-il ?
— J'ai deux gros problèmes. Le premier est simple. Un de mes étudiants m'a fait un email anonyme. Plutôt ambigu, dis-je en tendant le portable auprès des deux femmes.
— Il dit quoi ? m'interroge Maximino que j'avais involontairement délaissé.
— Je suis tellement déçu que vous en préfériez un autre. J'aurais voulu être celui-là, lit Concepción.
— Waouh, c'est chaud ! rigole-t-il.
— Je ne suis pas aussi amusé que toi, honnêtement. Je suis même inquiet.
— Je me doute, sinon tu ne nous aurais pas réunis en conseil.
— Pourquoi penses-tu qu'il s'agit d'un étudiant ? demande Bianca.
— Ou d'une étudiante... Personne ne me vouvoie, et surtout ne m'écrirait sinon en Français.
— Bonne remarque Flo, souligne Concepción.
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Special Teacher (B&B)
Roman d'amourFlorent, la trentaine, vient d'accepter un poste de professeur à Madrid. Après des années à changer d'établissement tous les ans, il est temps pour lui de s'installer, de renouer avec une vie sociale. Pourtant, les relations qu'il entretient avec se...