Je ne réponds même pas, et suis déjà parti pour payer nos verres. Le serveur me fait signe qu'il n'y a rien à notre table, et Rafael vient me saisir par le bras :
« J'ai tout payé tout à l'heure, je n'étais pas sûr que vous reviendriez...
— Tu as eu tort, d'avoir payé et d'avoir cru ça... » lui dis-je avec ma main contre son cou.
Un petit sourire s'esquisse. Très léger. Mais toujours teinté d'une forme de tristesse soudaine. Il va falloir qu'il m'explique. Sans le brusquer. Je n'ai pas envie qu'il soit malheureux alors que nous nous rapprochons de plus en plus. Que notre proximité puisse être associée à un malaise chez lui me chagrine.
« Vous connaissez un endroit plus calme et plus... privé... Enfin, je voudrais continuer à vous raconter tout ça, mais tranquillement... me demande-t-il.
— Si tu n'as pas peur, on peut aller chez moi » rigolai-je pour essayer de le dérider.
Et j'ai réussi, il éclate de rire, tout en me faisant un immense oui en hochant de la tête. Je crois qu'on doit prendre ce temps, serein, pour échanger. Pour savoir ce qui se passe réellement entre nous. C'est déjà assez spécial pour rajouter autour de nous des oreilles indiscrètes.
Nous marchons paisiblement, mais nous sommes évidemment à quelques pas de mon appartement. Mes mains dans les poches de mon manteau, je me surprends à vouloir qu'il saisisse mon bras pour s'y accrocher. Je suis en train de plaquer sur Rafael tout le romantisme qui m'a manqué pendant des années...
A peine entré, Rafael s'exclame :
« C'est incroyable ! J'adore votre appart ! La vue est tellement belle...
— Oui, tellement... souris-je malicieusement en appuyant sur ce dernier mot, qui m'aura tant bouleversé ces derniers jours.
— Raison de plus pour vous apprécier alors... tente-t-il alors qu'il est toujours collé à l'une de mes fenêtres.
— Si tu reviens un jour, ce n'est pas sûr ! renchéris-je.
— On va vite le savoir... »
Après avoir été cherché quelques boissons non alcoolisées, je pense que notre ivresse naturelle suffira ce soir, je m'assois sur la méridienne et m'allonge. En se retournant, je vois dans son regard une légère surprise, qu'il occulte en s'installant en face de moi, dans le fauteuil. Nous nous faisons face, et c'est parfait ainsi.
« Avant de répondre à votre question de tout à l'heure, j'aimerais bien qu'on reparle de nos messages...
— Tu veux qu'on les relise, c'est ça ?
— Oui, on s'est tournés autour. Et pour éviter que je me fasse des films, j'aimerais savoir ce que vous vouliez dire, parfois...
— Tu as été plus direct que moi, mais je ne sais pas non plus ce que tu souhaites réellement Rafael. Je pense que tu as raison, on va relire tout ça ».
La situation me semble surréaliste. Chacun sort son téléphone portable, gêné, et commence à remonter la conversation. Nous retrouvons les premiers emails, et c'est ainsi que commence le commentaire. Nous agissons comme si nous répétions une pièce de théâtre, chacun lisant sa réplique. Jusqu'à la première réaction.
« Le premier message a été envoyé par Matéo, tu me l'as dit. Et tu t'es vite enfermé dans le mensonge tout de même...
— Oui, c'est mon erreur. Je me suis créé le personnage extérieur, jaloux de moi-même. C'était tordu mais je devais continuer à vous écrire tel qu'avait commencé Matéo...
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Special Teacher (B&B)
RomanceFlorent, la trentaine, vient d'accepter un poste de professeur à Madrid. Après des années à changer d'établissement tous les ans, il est temps pour lui de s'installer, de renouer avec une vie sociale. Pourtant, les relations qu'il entretient avec se...