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Je dois être légèrement blême pour que Rafael me regarde ainsi. Il faut dire que Ramon vient de bousculer en quelques mots tout un équilibre que je venais tout juste d'acquérir. A-t-il seulement conscience qu'il est à deux doigts de me l'enlever ? Qu'il risque de balayer en trois secondes tout ce qui, certes, n'a duré que quelques temps, alors que dans mon esprit nos échanges ont duré des mois entiers ?

C'est terrible. Terriblement ridicule. J'en viens à accuser un ami pour essayer de me dédouaner. Pour éviter de penser qu'il puisse déjà partir ailleurs. Lui qui me regarde de temps en temps quand nous marchons, quasiment collé à moi. Il marche doucement, m'attend quand il accélère, se rapprochant lorsqu'il a l'impression de s'être éloigné.

Je ne sais même pas où nous allons d'ici quelques minutes. Et pourtant, je pense à où il pourrait être dans quelques semaines. Si je lui dis. Il partira. Il vivra ce qu'il aura à vivre, à apprendre, à innover, à construire. Mais je pense à moi, à cet instant précis. C'est idiot de raisonner ainsi, mais c'est la réalité.

Pour la première fois depuis des années, j'ai ouvert mon cœur, mon esprit, mon âme à quelqu'un. J'ai laissé la lumière entrer, parce que j'étais caché derrière mon clavier ou mon écran. Maintenant qu'elle est là, je ne veux plus la voir partir. Je ne veux plus qu'elle redevienne virtuelle, à distance. Oui, je pense plus à moi, à nous, qu'à lui.

Concepción et moi en avons parlé, elle n'a jamais vu en moi une telle joie, un tel épanouissement. Des années durant, j'ai empêché mon cœur de battre à son rythme. Je l'ai enfermé dans une cage invisible pour qu'il ne soit qu'un organe vital, pour qu'il ne vienne pas contrecarrer mes plans.

Maintenant il explose. Peut-être un peu trop vite. C'est toute la peur que je lisais dans le regard de mon amie. Après tant de temps apprivoisé, ce cœur cherche peut-être à regagner sa liberté, à être de nouveau sauvage. A passer de l'une à l'un, de l'un à l'autre, sans jamais réellement s'attacher.

Je me sens relié à Rafael. Je sens qu'il se passe entre lui et moi quelque chose d'indicible. Tout picote en moi quand j'imagine son départ. Mais est-ce suffisant pour dire que tout est possible ? Nous nous connaissons depuis bien trop peu de temps pour que je me pose la question de l'amour. Mais déjà je pense à celle de l'affection.

Le voici soudainement arrêté. Il est là, devant moi, me tendant sa main. Il veut qu'on se tienne la main. Là, en public. Devant tout le monde ? Visiblement, oui. Je n'ai pas le droit de le faire attendre. Pas plus longtemps. Alors mes doigts viennent doucement se frotter aux siens, s'entremêlant.

Il me sourit, tape un code devant une porte que je n'avais même pas remarquée, et nous entrons, sans se lâcher. Quelques marches nous attendent, et son sourire ne s'éteint pas. S'il le pouvait, je crois même qu'il s'élargirait encore et encore. Il est beau, tout simplement. Il faut savoir le reconnaître.

Un palier sombre, une porte ferrailleuse, qui grince quand il la pousse, puis un petit appartement. Celui d'un étudiant, mais tout de même bien aménagé. Une petite cuisine immédiatement à droite, un séjour modeste en face, une mezzanine en haut, et ce qui ressemble à une bibliothèque sur ma gauche.

« Nous sommes chez moi, mon Florent ».

Il ne sourit pas, il a juste une mine réjouie, une sorte de lueur dans les yeux. Une petite émotion que je commence à partager. Ce regard, je ne peux pas imaginer le voir partir. Mais j'ai tellement envie qu'il pétille encore, comme quand nous parlions de la danse.

« Tu es la première personne qui rentre ici... »

Il m'annonce cela sans sourciller, juste en lâchant ma main, en déconnectant nos regards pour attraper deux tasses. Il y verse un thé rouge, dont l'odeur commence à m'atteindre. Il passe avec devant moi, et se dirige vers sa bibliothèque. Quand je réalise avec stupeur que je n'ai pas parlé depuis que nous avons quitté l'école...

Special Teacher (B&B)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant