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Je suis saisi par les mots que Concepción vient de prononcer. Le début de quoi ? L'amphithéâtre au complet a-t-il entendu notre conversation ? Je pensais être le seul. Elle accepte qu'un élève me parle ainsi ? Et que s'imagine-t-elle ? Je ne comprends réellement pas ce qu'elle essaie de me dire.

Alors que je la vois rallumer le micro, je bloque sa main :

« Que veux-tu dire Concepción ?

— Alejandro est un de nos meilleurs étudiants. Mais aussi l'un des plus culotés, si tu me permets l'expression.

— Explique-moi.

— Après le cours, tu veux bien ? »

Complètement perturbé par les propos de la rectrice comme de cet étudiant, j'avais quasiment oublié qu'un amphithéâtre complet, autrement dit quasiment cinq cents personnes, était en train de nous regarder nous affairer sur la chaire sans pour autant pouvoir saisir le contenu de notre conversation.

Concepción a raison, il est temps d'assurer notre cours. Elle débute, je poursuis, nous échangeons les paroles, les regards complices, les blagues, les jeux de mots, bref, tout se déroule comme à notre habitude. Si ce n'est que je me refuse de regarder en hauteur. Je ne veux pas recroiser maintenant ne serait-ce que le début de l'anatomie d'Alejandro.

Les deux heures passent progressivement, mon cerveau étant partagé entre la rapidité avec laquelle nous avançons dans le cours, me faisant craindre que certains étudiants ne soient perdus, et l'envie d'accélérer encore et encore afin de me rapprocher de l'échange tant attendu avec Concepción. Sa réponse, bien trop paisible à mon goût, m'avait légèrement insupporté.

Je pense d'ailleurs qu'elle a saisi mon souhait d'en finir quand, avec dix minutes d'avance, celle-ci propose de clore ici le cours et de nous retrouver dans deux jours pour la suite. Je ne manque alors pas à mes devoirs, leur rappelant les leurs, c'est-à-dire préparer les premières simulations en groupe.

Nous sortons ensemble, avant que les étudiants eux-mêmes n'aient eu le temps de se diriger vers la sortie. J'entends des pas derrière moi et, presque effrayé qu'Alejandro soit encore là, j'accélère en direction de mon bureau. Concepción, légèrement désarçonnée, me suit à distance, tout en consultant son téléphone portable.

Y compris l'année dernière, un bureau individuel m'avait été accordé. Sans que ce ne soit bien entendu un quelconque privilège dû à mes amitiés. Il était d'usage dans cet établissement que les intervenants tels que moi aient la possibilité de recevoir leurs collègues, leurs étudiants, leurs rendez-vous sur place.

Rien n'avait été touché, les mêmes meubles sont présents, même si le style relativement ancien, bien accordé avec les locaux authentiques, risque de rapidement me déplaire. Ce vieux bois, que j'apprécie lorsque je ne le côtoie que rarement, n'est guère de bonne compagnie à mes yeux. Je m'effondre quasiment dans mon très confortable fauteuil, que je garderai, alors que Concepción me toise, les yeux remplis d'interrogations.

« Que t'arrive-t-il Florent ? Pourquoi ce comportement depuis que tu l'as croisé ?

— As-tu entendu ce qu'il m'a dit ?

— Non, bien sûr. Mais il a du te faire un numéro de charme, non ? »

Cette réponse sonnant telle une évidence a tendance à me faire sortir de mes gonds. Comment peut-elle accepter cette situation ? Elle le connaît de surcroît. Donc il n'est pas à son coup d'essai. Je suis l'énième enseignant placé dans le viseur de ce Dom Juan espagnol qui n'en a ni le talent ni l'envergure.

Special Teacher (B&B)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant