chapitre 2

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Depuis quelques jours l'ambiance est tendue à la maison. Mila a annoncé il y a plusieurs mois de ça, en plein milieu de repas, qu'elle était enceinte. Plus le temps passe et plus nous la voyons fatiguée. Le médecin l'a prévenu, elle doit prendre sur elle sans ça le bébé pointera le bout de son nez bien avant son terme.

Quand elle nous a fait part de cette annonce, personne ne s'y attendait. Elle était célibataire et nous ignorions même qu'elle avait déjà eu des vues sur quelqu'un. Je me rappelle le bruit fracassant qu'ont fait les couverts quand ils sont tombés, du moment où tout le monde y a mit sa petite graine pour tenter de découvrir l'identité de l'individu. Qui avait bien pu oser lui faire un bébé dans une telle situation? Nous avions d'ailleurs ainsi appris au cours du même repas, que cela remontait a trois mois avant qu'elle nous fasse l'aveu, qu'elle n'était pas (ou plus) avec l'homme en question et qu'il ne savait lui-même encore rien de tout ça. Quand on lui a demandé pourquoi, elle nous a juste répondu qu'il finirait bien par l'apprendre tôt ou tard.

Sa réaction nous a pris au dépourvu, moi plus que les autres puisque j'etais sa confidente avant ça. De tout ce que j'avais appris par sa bouche, je pouvais assurer qu'il était le premier et unique homme avec qui elle avait franchi le cap. Ma soeur tenait plus que quiconque à ce que cette première fois se passe avec la bonne personne. L'homme de sa vie. Elle me l'avait plusieurs fois mentionné alors je ne risquais pas d'oublier.

J'ai retourné toutes les informations qu'elle nous avait fournit ce soir là dans ma tête. Je les ai additionnées et plus j'avançais dans mes calculs, plus le nombre de suspects diminuait. Jusqu'à ce qu'à la suite d'une énième question, un détail vienne me frapper de plein fouet. En une reponse, l'étau venait de se reserrer autour d'une seule personne. Pourtant j'espérais encore me tromper sur celle-ci.

Perdue, le prénom de "l'accusé" que je me répétais à moi même en silence, m'a échappé de la bouche. Suite à cela, plus un bruit ne s'est fait entendre pendant un temps dans la pièce. Nous étions tous dans l'attente d'une réponse qui ne venait pas.

Nous devions en offrir des palettes de réactions aux plus jeunes enfants qui ne comprenaient pas bien ce qui se jouait sous leur nez. Mes voisins de siège qui avaient pour habitude de rire et chanter à table, se dandinaient  avec moi. Nous espérions encore  l'entendre me contredire et au lieu de ça, nous assistions à un tout autre spectacle. Ma soeur se tenait de plus en plus raide sur sa chaise et blanchissait à vue d'oeil. Ses yeux paniqués passaient d'un point à l'autre de la salle à manger, incapable de s'arrêter. Du moins, avant qu'ils ne croisent les miens pour ne plus s'en détacher. En son fort intérieur Mila espérait sans doute m'avoir mal entendu ou alors prenait-elle subitement conscience de ce que cela impliquerait? Nul le sait car l'oeil aguerri de la tablée n'avait rien manqué de notre échange silencieux. Il ne pouvait subsister aucun soupçon dans toute cette histoire après ce regard car sans le vouloir celui-ci avait confirmé la déduction que j'avais laissé échappé dans un souffle craintif.

Je me rappelle également du regard furieux que mon  père a lancé à Jiji, comme si ce dernier était fautif de quelque chose dans cette histoire. Après réflexion, je me dis qu'il espérait surtout le voir réagir. L'entendre crier après Mila et leur prouver que cette dernière avait menti ou que sais-je encore.

Il n'en fit rien. Plus blanc que jamais, si bien que même un cachet d'aspirine aurait paru d'une autre couleur à ses côtés, ce soir-là, mon frère s'est levé de table. Il n'a adressé aucun mot, a débarrassé son assiette encore pleine, a attrapé son manteau dans le couloir et a foutu le camp de la maison dans un claquement de porte mémorable.

Il n'est rentré que très tard dans la nuit, alors que je m'étais installée dans mon coin de chambre préféré avec en fond sonores les pleures de maman, sans doute entourée des bras reconfortant de mon père à ce moment-là, et enfermée dans mon désespoir. Les jumeaux et Mila dormaient profondément depuis un bon bout de temps, totalement hermétiques à l'ambiance pesante et inconscient de ce que les révélations du jour aller apporter.

Je me souviens des pas de mon grand frère qui se sont arrêtés sur le pas de ma porte, du fait que je les ai ignoré, pour ne pas avoir a bouger de ce rebord de fenêtre d'où je pouvais contempler la lune et les étoiles. Le regard rivé à ce lit de lumière, j'étais  bien trop occupée à faire la toute première prière de cette longue série faite jusqu'à aujourd'hui, qui consiste à demander à ce que tout s'arrête et redevienne comme avant.

Le plus dur fut de voir passer à lenteur d'escargot les jours. La journée, tout le monde était à cran. Le moindre prétexte était bon pour se prendre le chou et la nuit n'etait pas meilleure. Je ne dormais plus à cause des bruits que faisaient les larmes des deux femmes qui se trouvaient dans les chambres voisines à la mienne, et ceux qui faisaient écho aux coups portaient par mon frère dans son nouveau sac de frappe (acheté spécialement pour l'événement). J'étais tendue comme un arc et plus le temps passait, plus je me voûtais sous le poids de l'électricité nocive présente dans l'air de notre foyer autrefois si chaleureux.

Pour ce qui est du futur père, il a fallut attendre une semaine avant qu'il vienne pointer son nez. Jimmy était de sortie ce soir-là quand on a sonné à la porte. Tout le monde se demandait qui pouvait bien venir à une telle heure pour nous rendre visite. J'ai été celle qui a ouvert. L'homme qui me faisait face faisait peine à voir, il avait les cheveux complètement emmêlés et sa barbe d'ordinaire bien entretenue laissait à présent à désirer. C'est sans parler de ces couleurs sur son visage... Mon ventre soudain serré, je souffrais de le voir aussi mal en point malgré qu'il avait pu créer. Il n'y avait qu'une personne susceptible d'avoir redessiné les traits de son visage de cette façon : mon frère.

Lorsque Mila est apparut, l'air s'est métamorphosé autour de nous annonçant une fulgurante tempête. L'homme qui me faisait face triste s'est transformé en un être possédé. Il  est sorti de son silence pour hurler des propos tous très incohérents aux oreilles des autres. Comme s'il recitait une incantation à l'encontre de mon ainée. Mes parents qui nous avaient rejoint lui ont demandé de se calmer, ils lui ont conseillé de rentrer chez lui et de revenir lorsqu'il serait plus à même de dire clairement ce qu'il ressentait. Moi et Mila, nous avions parfaitement compris ses allusions quant à nous et un gouffre venait de s'ouvrir sous nos pieds pour nous emporter toutes deux dans sa spirale infernale sans secours possible.

Mila pleurait à chaudes larmes, elle encaissait ses propos forts agressifs. Je pense qu'elle n'imaginait pas le voir aussi détruit en apprenant les suites de cette soirée. Elle n'avait pas intégré le fait qu'il l'a regretté déjà mais que la dernière nouvelle lui avait donné la gerbe.

Maman qui avait remarqué que quelque chose clochait, a soufflé à mon père qu'il serait préférable de le raccompagner chez lui. D'abord sceptique sur sa capacité à retenir les coups après avoir entendu de tels propos contre sa plus grande fille, il a finit lui aussi par avoir la même impression que la maîtresse de maison.

Lui, il s'est laissé faire mais ne m'a pas quitté du regard jusqu'à ce que la porte ne se ferme. Emporté par la poigne de mon père tel un condamné à mort.

À peine close, ma soeur s'est effondrée sous nos yeux. Agenouillée au sol, elle répétait sans cesse que ça ne devait pas se terminer comme ça, qu'elle n'imaginer pas que son geste le blesserait ainsi. Elle était persuadé qu'il lui permettrait d'ouvrir les yeux sur l'évidence: elle l'aimait et l'avait choisi. Ça devait être lui son futur,  pas un autre homme.

Quand Jiji est rentré le lendemain, il n'était pas dans son état normal. Ces yeux étaient rouges et il titubait. J'ai essayé de l'épauler mais il m'a repoussé, en douceur certe, mais le geste était là. Encore un proche a me rejeter, ça faisait mal. Il aura fallut d'une erreur, d'un soir entre deux individus, pour qu'une vie de famille toute entière soit bouleversée, m'etais-je alors dis.

Mais ce que j'ignorais encore c'est que les choses n'allait pas aller en s'améliorant, au contraire, le cauchemar ne faisait que commencer.

Fini De Vivre Dans Le Passé .Où les histoires vivent. Découvrez maintenant