Valéry ouvre les yeux, aveuglé par le bleu nuit. Il se redresse et se débarrasse de sa couverture étouffante. La lumière du jour n'a pas encore commencé à caresser sa peau. Il s'attache à la vue de Roland encore plongé dans un sommeil profond, dont il ne semble pas vouloir sortir. Mais ce denier paraît frigorifié. Valéry touche ses mains, glacées. Il accompagne des yeux la fine nappe blanche qui galope hors de la bouche du garçon. Lui a trop chaud alors que son ami meurt de froid. Resté assis, il contemple la nuit disparaître peu à peu et attend que Roland se réveille.
- Tu ne dors pas ? Demande une petite voix endormie dont le corps s'éveille à peine et se relève.
- Tu ronfles, soulève Valéry.
- Toi, tu ne fais que gigoter.
- J'ai pas l'habitude de partager mon lit.
- Ça n'est pas la mienne non plus.
Valéry brave les pupilles châtains de Roland. Les cicatrices peintes sur son visage se sont assombries. L'une de ses cernes a bleui et ce n'est pas par fatigue. Sa joue s'est arrondie et ses lèvres sont plus rouges que la veille. L'ours a frappé fort. Il voulait marquer les esprits. Le plus jeune le remarque mais reste silencieux.
- Tu as froid ? Demande Valéry.
- C'est supportable. Il y a pire que moi.
- J'ai trop chaud, prend ma couverture, propose Valéry.
Il tend les draps à Roland qui hisse un sourire, avant de l'abolir à la vue de la main vide tendue vers lui.
- Je ne vois rien.
- Comment ça ? Arrête de plaisanter, prend ma couette !
- Il n'y en a pas... Pour moi tu n'as rien dans la main.
- Parce que nous ne vivons pas à la même époque ? Alors tu ne vois rien de ce que j'ai et je ne vois rien de ce que tu as ?
- Je le crois.
- Les posters ? Mon bureau ?
- Ma chambre est vide et le matelas troué grince. Je n'ai ni bureau ni décoration ; pas même une couverture. Je te vois, toi.
- Et moi je te vois, toi. Mais je ne vois rien de plus que toi. Je ne vois pas ta chambre.
Roland abaisse la tête.
- Alors tu as froid mais je ne peux pas t'aider ?
- Ce n'est rien Valéry, je vais bien.
- Non, tu es comme tous les autres, tu mens et tu souris parce que tu n'es pas mort. Mais tu crèves de froid !
Valéry balaye les livres de sa table de chevet d'un grand geste. Les pages se fracassent sur le parquet. La rage s'empare de ses gestes.
- Ça n'est rien je t'assure, je vais bien.
- Mais moi je meurs de chaud ici et toi...
- Et moi je vais bien.
Roland se harpe au coup de Valéry et dépose son front contre le sien, s'évertuant à calmer la hargne du jeune homme. Les joues de celui-ci se noient de nouveau, brûlant ses blessures et cicatrisant ses maux.
- Pourquoi est-ce que je peux te voir et te toucher si je ne peux pas t'aider ?
- Tu m'aides je t'assure ; tu m'écoutes. Il n'y a rien de pire que la solitude.
- Il n'y a rien de pire que les gens encombrants, reprend Valéry.
- Il n'y a rien de pire que les manteaux en fourrure.
- Il n'y a rien de pire que les brocolis.
- Gagné ! concède Roland.
Les deux garçons se mettent à donner vie à leur plaisanterie par un rire sincère.
- Sortons un peu, ici j'étouffe, dit Valéry.
Roland esquisse un sourire, consentant à cette proposition bien rodée.
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Le miroir des siècles
General FictionAlors que certains reçoivent des caresses, d'autres sont atteints par la main d'une brute. Isolé du reste de Paris, seul dans une chambre, Valéry guette l'instant où sa vie serait prête à lui offrir un temps d'allégresse. Mais lorsqu'il se perd à r...