21. Seinabo Sey, Hard Time

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   Ils courent le long d'une grande rue, le cœur battant, à bout de souffle. Valéry réfreine sa course.

- Cherche une voiture ! Dit-il.

- Quoi ? S'exclame Roland.

- Il faut trouver une voiture que nous voyons tous les deux, quelque soit l'époque.

- Tu veux dire que... nous allons commettre un vol ?

- Plutôt un emprunt.

   Les deux garçons s'arrêtent dans leur course et marchent d'une respiration haletante. Ils naviguent entre les voitures.

- Alors ? S'enquiert Valéry, moi j'ai l'embarras du choix, c'est à toi de me guider.

- Il y a cette Ford...

- Impossible, pour moi c'est un camion de service.

- Oh ... et bien ... La Talbot là- bas ? Demande Roland en montrant du doigt l'auto dont il parle, à sa droite.

- Qu'est-ce que c'est ça une Talbot ? Peu importe, pour moi c'est un scooter.

   Valéry dépasse plusieurs véhicules. Ses jambes tremblent. Alors qu'il vient de quitter le domicile et de faire ses adieux à une partie de sa vie, la peur l'envahit. Il se demande si il est prêt à aller aussi loin dans sa fuite ; au point de commettre un vol. Ses mains sont moites et sa respiration s'accentue. Il ne fait pas part de son ressenti à Roland et continu à marcher à ses côtés. Honteux de l'avoir, lui aussi, enlevé à son chez-lui. Ce dernier se retourne vers Valéry.

- Et cette Aries ?

   Valéry regarde la voiture désignée. Alors que Roland voit une vieille Aries CC4, lui contemple la Citroën Saxo grise se dressant devant lui. Il souffle.

- Je pense que celle-ci devrait aller, essaye-t-il de se rassurer, la peur au front.

- Que comptes-tu faire ? Crois-tu que nous puissions monter tous les deux dans une voiture, ensemble, alors que ce n'est pas la même ? Je veux dire, je ne sais pas conduire alors si tu dois être le conducteur, puis-je être passager et avancer alors que nous ne sommes pas dans la même auto ? S'inquiète Roland.

- À vrai dire, je n'en sais rien. Disons que c'est un test. Je conduirai et nous verrons si ta voiture avance aussi de ton côté. Il y aura aussi sûrement des différences sur la route. Tu me guideras dans les directions et je réagirai en fonction de ce que j'ai devant moi.

Roland acquiesce mais ne paraît que très peu convaincu.

- Roland, tu vas devoir voler cette voiture toi aussi...

- Quoi ?

- Je ne peux pas ouvrir la tienne ; je ne la vois pas, chuchote Valéry.

- Détrompe-toi, à mon époque les gens ne ferment pas leurs voiture à clé. Ils ne la sortent que pour flâner dans les rues et récupérer le bon pain frais sortant de la boulangerie.

Roland se penche vers la voiture et regarde par-dessus la vitre.

- Les clés sont sur le siège, moque le garçon.

- Je vois !

   Valéry regarde autour de lui. Par chance la rue dans laquelle ils se trouvent n'est que très peu empruntée. Les gens y sont rares. Il jette un œil aux alentours ; personne. L'inspiration de Valéry est tremblante. Incertaine. Il avance vers la Citroën et s'abaisse. Il fouille dans son sac et en sort la règle en métal. Il insère ensuite cette dernière entre la fenêtre et la portière de la voiture. Puis, d'un appui important de la main, il enfonce l'objet, en gémissant sous l'effort et l'effroi. Il s'y reprend à deux fois sans succès, avant de tenter le tout pour le tout. Il transmet toute sa force dans ce bout de métal et fait céder le verrou de la poignet. La portière de la voiture s'ouvre sous l'effort. Valéry expire tout l'air contenu entre ses lèvres et sourit fièrement.

- J'ai vu ça une fois dans un film !

- Un film que je n'ai pas vu, déclare Roland.

   Valéry se met à rire.

   Il monte dans la voiture après un dernier regard aux alentours. Roland rejoint le coffre de l'auto et tourne une manivelle, placée près du moteur. Les tours s'enchaînent et essoufflent le garçon, trop faible pour continuer. Puis il vient s'installer à côté de Valéry. Les deux garçons mettent leur sac sur les sièges arrières du véhicule. Valéry referme la porte. Il commence à triturer l'intérieur de la boîte à gants. Le pare soleil au dessus de lui. Les accoudoirs.

- Si j'ai raison, dans ces vieilles voitures, le proprio cache toujours un double des clés... Bingo ! S'exclame l'aîné.

Il s'empare de la clé, cachée contre le miroir du par-soleil.

- La plupart du temps c'est derrière !

- Je n'ai pas compris un mot, mais on dirait que la chance nous sourit, confirme Roland.

- Met ta clé dans le démarreur, je vais faire pareil. Avec de la chance je conduirai les deux voitures en une.

- D'accord.

   Roland s'exécute. Il fait pénétrer le bout du passe dans la serrure. Valéry se charge de le tourner tout en appuyant sur la pédale d'embrayage. La voiture démarre dans un grondement féroce.

- Ça marche ! Crie Roland, empli par la joie et étouffant un rire soufflé.

- Ça marche ! Répète Valéry.

   Soudain, une musique assourdissante se met à résonner dans la Citroën. Le jeune homme se bouche les oreilles avec la paume de ses mains. Il cherche l'autoradio des yeux avant de tourner une molette. Le sons diminue. Le cœur en faillite, il prend deux profondes inspirations.

- Qu'y a-t-il ? Se demande Roland, pour qui la mélodie n'existe pas.

- La musique, le propriétaire ne l'avait pas éteinte.

- Il y a de la musique dans vos voitures ?

- Oui...

- Incroyable ! On n'arrête pas le progrès.

   Valéry rigole. Un sourire arpente ses lèvres et se fraye un chemin le long de ses dents.

- Roland, nous allons pouvoir nous enfuir, déclare-t-il.

- Démarre ! 

Le miroir des sièclesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant