Valéry écoute la musique qui prend part au voyage. Roland dort depuis quelques minutes, la tête appuyée contre la vitre. Une veste recouvre ses épaules. Pour lui, la route passe à la vitesse d'un rêve. L'aîné le regarde de temps en temps. Il aime apercevoir ce visage d'enfant plongé dans l'innocence du sommeil. Un visage apaisé par la fatigue, qui ne comporte aucune ride.
- Je te demande pardon, pour tout à l'heure, dit Roland en gardant ses yeux fermés.
- Tu ne dors pas ? Je croyais que...
- Je n'y arrive pas. Je me sens tellement faible ; tellement impuissant. J'aurais pu t'aider, mais j'ai décidé de ne rien faire.
- Mais tu t'es excusé, répond Valéry, face à cet homme, je crois que tout le monde serait impuissant.
- Sans doute, mais ne rien faire, c'est te condamner.
- Je vois ça comme de la défense plus qu'une condamnation. Vraiment, ça ne fait rien, rassure Valéry.
Le trajet se fait en silence. Au milieu d'une route de campagne se tient un Motel. Valéry gare la voiture sur le bas-côté de la route. Il éteint les phares qui les éclairaient alors et détache sa ceinture.
- On est arrivé, déclare-t-il.
Roland ouvre les yeux et regarde par la fenêtre. Il n'y voit que l'ombre d'une bâtisse salie par le temps. Les garçons sortent tout deux du véhicule et ferment leur portière derrière eux. Ils marchent sur le gravier du parking et avancent jusqu'à l'entrée. Deux minables lampadaires dégagent une faible luminosité.
- C'est le seul vieux Motel encore debout depuis les années vingt que j'ai trouvé. Ça ira ? T'as de l'argent ?
- J'en ai, oui.
- OK, je demande une chambre pour moi, puis tu rentres et tu demandes la même pour toi.
Valéry ouvre la porte. Il entre dans le hall et se dirige vers l'accueil. Il pose ses avant-bras sur le comptoir. Il regarde ensuite l'employé dans les yeux. Un homme à l'air mou et désintéressé. Ce dernier aperçoit furtivement le jeune homme, mais ne lui adresse pas le moindre intérêt. Son corps grassouillet est flasque. Il donne l'impression de rester sur cette chaise des heures sans bouger ni se plaindre de sa non-activité.
- Bonjour, dit Valéry.
Interpellé, l'homme relève la tête.
- Je vous écoute, déclare-t-il d'une voix grasse et endormie.
- C'est pour prendre une chambre, s'il-vous-paît.
- Lit simple, ou double ?
Valéry se retourne vers Roland, qui est resté dehors. Il réfléchit à la question en le dévisageant puis sursaute sous l'impatience de l'employer.
- Heu, deux lits simples, pardon.
- Combien de nuits, demande l'homme déjà lassé.
Valéry se replonge dans ses réflexions. Il jette un coup d'œil vers Roland et répond.
- Trois nuits.
- Vous payez maintenant ?
- Oui, en liquide s'il-vous-paît.
- C'est quatre vingt dix euros.
- Euh... oui, dit Valéry en sortant l'argent de sa poche de jean, Voilà.
- Chambre trente trois.
L'homme tend les clés de la chambre à Valéry, qui les prend de ses mains moites. Après quoi le jeune ressort dehors pour rejoindre Roland.
- À ton tour, demande la chambre trente trois, informe Valéry.
Roland hoche la tête.
Le garçon entre dans le motel, suivi de près par Valéry. Pour lui, la décoration vient d'être refaite et les murs empestent la peinture. Alors qu'il s'agit d'une vieillesse sans nom pour l'aîné. Il s'avance vers l'employée de l'accueil. Il y voit une femme amaigrie et pensive.
- Bon... Bonjour, intervint Roland.
- Bonjour jeune homme, une chambre ?
- Oui, euh... la chambre trente trois... est libre ? Se risque à demander Roland.
- Elles le sont toutes, personne ne vient par ici. Je vous met dans la trente trois, donc ?
- Oui, je... j'aime ce nombre, prétexte Roland, gêné de demander une chambre précise dont il ne connaît rien.
- Sur combien de jours ?
Roland se retourne vers Valéry. L'aîné lui chiffre la réponse avec ses doigts.
- Trois, répond Roland.
- Très bien, soixante quinze francs, je vous prie.
- Oui.
Roland tend l'argent. La femme le lui prend et lui prête en échange les clés.
- Bienvenue à Dunkerque.
Les deux garçons se font face. Roland sourit. Il est chez lui.
Ils montent dans leur chambre, exténués par les longues heures de route. Ils marchent le long d'un couloir poussiéreux et tapissé d'une moquette sentant le renfermé. Une fois devant la bonne porte, Valéry enfonce les clés dans la serrure et la fait pivoter. Il ouvre la porte et découvre deux lits simples, séparés par une table de chevet. La pièce n'est pour ainsi dire pas accueillante. De par ses couleurs et les odeurs qu'elle dégage. Mais peu lui importe. Il n'est pas à Paris. Il jette son sac sur le lit de droite pour être au plus près des fenêtres. Roland le suit. Il reste quelques secondes sur le pallier de la porte. Avec à sa gauche, la salle de bain et les toilettes. Voyant qu'il n'est pas décidé à bouger, Valéry vient à lui. Il lui prend les mains en riant. Il le pousse à l'intérieur de la chambre, le conduit à côté de son lit et le fait s'asseoir en lui appuyant sur les épaules.
- Là, t'as qu'à dormir un peu. Il est encore tôt dans la nuit ! De toute façon je suis fatigué et on ne va rien faire avant un moment.
Roland s'exécute. Il obéirait aux moindres de ses désirs. Il retire ses chaussures ainsi que ses vêtements les plus encombrants, s'allégeant du poids de son pull. Il s'enfonce dans son lit et s'enroule dans la couverture. La chaleur se colle alors à sa peau. Il frissonne de plaisir au contact du tissus tout contre lui.
Valéry ne tarde pas à se coucher. Roland s'est endormi. Lui, éteint la lampe près de lui et ferme les yeux. Cette nuit, le sommeil lui fait faux bond. Il a beau le chercher dans les moindres recoins de son esprit, il ne réussit pas à capturer sa délicieuse compagnie. Les heures passent et l'espoir d'un rêve s'envole avec elles.
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Le miroir des siècles
General FictionAlors que certains reçoivent des caresses, d'autres sont atteints par la main d'une brute. Isolé du reste de Paris, seul dans une chambre, Valéry guette l'instant où sa vie serait prête à lui offrir un temps d'allégresse. Mais lorsqu'il se perd à r...