⋅ Partie 4 ⋅

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Appartement Motomiya - 9h46

Le samedi suivant, Naho se réveilla plutôt tard. Elle se rendit alors compte qu'elle s'était non seulement endormie sans s'être changée, mais aussi en pleine lecture de son livre et avait donc perdu la page qu'elle lisait. La première chose qu'elle fit fut de dégrafer son soutien-gorge qui la comprimait et, tout en soupirant de bien-être, elle se frotta les yeux en songeant aux événements de la veille.

Sa mère était rentrée quelques minutes après sa crise de colère et elle avait dû prendre sur elle pour cacher son humeur maussade. Et même si elle n'était pas de corvée, elle avait ensuite préparé le dîner pour se changer les idées, ce qui avait étonnamment bien fonctionné. Mais la rancune envers ce garçon persistait, et elle doutait qu'elle puisse s'empêcher de lui en mettre une si elle le croisait à nouveau.

À la sortie de sa chambre, elle tomba sur Hayato, le cadet de la famille. Il était affalé dans le canapé, avec un bol de céréales – sans lait – sur les genoux, et un verre de lait en équilibre fragile sur un accoudoir. Parfois, Naho se demandait ce qu'il se passait dans sa tête. Elle avait longtemps soutenu l'hypothèse du singe qui joue des cymbales, cependant il arrivait à son frère d'avoir des éclairs de génie qui, bien que fugaces, réfutaient son hypothèse.

— 'Lut, dit-il la bouche pleine.

Il regardait la rediffusion d'un épisode de Game of Thrones de la veille. Si l'espace d'une minute ou deux, Naho regarda avec lui l'épisode, cela finit par faire tilt. Elle remarqua le petit seize dans le coin inférieur droit de l'écran, qui indiquait la limite d'âge, et se réveilla pleinement.

— Nan mais je rêve, c'est pas de ton âge, ça ! s'exclama-t-elle subitement, cherchant la télécommande des yeux pour changer de chaîne.
— Ça vaaa, fit Hayato avec nonchalance.
— Tu peux pas regarder Bob l'Éponge ou Pokémon comme tous les mômes de ton âge, sérieux ?
— Bob l'Éponge, c'est fini depuis une demi-heure et Pokémon, j'ai passé l'âge.

La brune se pinça l'arrêté du nez, exaspérée. Hayato avait eu quatorze ans le mois dernier, et même s'il était parfois très mature, il n'en restait pas moins jeune. Trop jeune pour regarder ce genre de série.

— Et maman, elle est où ?
— Partie, répondit-il après un bâillement.
— Où ça ?
— Ch'ais pas.

L'adolescent reprit une poignée de céréales, qu'il engloutit et accompagna d'une gorgée de lait, sous le regard éberlué de sa sœur. Cette dernière eut envie de le secouer comme un prunier pour le bousculer. Mais elle prit sur elle, malgré l'agacement croissant qu'elle éprouvait. Dépitée, elle se redressa et se dirigea vers la salle de bain. Alors qu'elle ouvrait la porte, Hayato reprit la parole :

— Elle a embarqué Tohru et ils sont partis faire les courses.

Elle eut envie de crier « ENFIN ! », qu'il était temps qu'il se réveille, mais elle n'en fit rien. Elle savait parfaitement que c'était inutile. C'était juste... Hayato. Alors, elle fit mine de rien.

— D'accord. Et elle t'a dit quand elle reviendrait ?

Encore une fois, il haussa les épaules. Roulant des yeux, la brunette ne chercha pas à en savoir plus et elle s'enferma dans la salle d'eau. Quand elle sortit de sa chambre, près d'une heure plus tard, avec des vêtements propres et ses cheveux presque secs, elle se sentait beaucoup plus sereine pour aborder la journée. Ce fut sans compter sur sa mère qui lui tomba dessus.

— Ah, Naho, tu tombes bien ! s'exclama-t-elle en lui plaquant un baiser de bonjour sur la joue. Tu veux bien descendre ces courses à Madame Kobayashi ? Dis-lui bien qu'elle ne nous doit rien. Faut que je rappelle ton père. Merci, tu gères ma fougère.

Et elle s'en fut avant que Naho n'ait pu mot dire. La brune resta muette un instant, déstabilisée par le débit de parole de sa mère de si bon matin, puis elle secoua la tête, sidérée qu'elle ait osé faire ce jeu de mot.

— Bon ben... à tout à l'heure alors, se résigna-t-elle.

Elle enfila ses Converses et empoigna le sac cabas rempli à craquer que sa mère avait laissé près de la porte, avant de quitter l'appartement sans un bruit. Comme l'ascenseur mettait toujours trop de temps à arriver à son goût, Naho privilégiait d'ordinaire les escaliers. Cependant, ce jour-là, elle souhaita l'emprunter. Quelle ne fut pas sa déception quand elle lut « EN PANNE » sur une étiquette scotchée sur l'interrupteur. C'est donc avec un soupir qu'elle s'engagea dans l'escalier en colimaçon.

Lorsqu'elle arriva devant la porte de sa voisine au rez-de-chaussé, à bout de souffle et les bras douloureux sous le poids du sac, Madame Kobayashi lui ouvrit avant même qu'elle ne frappe à la porte à son plus grand soulagement. Elle guida la jeune fille à l'intérieur de son petit appartement, et Naho put enfin soulager ses bras en déposant le cabas sur le sol de la cuisine.

— Merci, ma grande. Je te dois combien ?
— Euh... ma mère dit que vous ne nous devez rien, répéta mot pour mot la jeune fille en observant les cadres photos de sa voisine.
— Allons. Dis à ta mère qu'elle n'est pas obligée, tenta de protester la vieille dame, avec un sourire bienveillant.
— Je lui transmettrai le message.

Consciente qu'elle contemplait alors sans vergogne les photos punaisées un peu partout sur les murs, la demoiselle secoua la tête.

— Je ne vais pas vous embêter plus longtemps, dit-elle en amorçant un mouvement vers la sortie.
— Oh mais tu ne m'embêtes pas ma petite Naho. D'ailleurs, j'allais oublier...

La plus jeune retint un soupir. Elle n'était pas petite. Cela avait beau être affectueux dans la bouche de cette vieille femme, elle ne pouvait s'empêcher de tiquer dessus.

— Pour tout te dire, il y a un jeune homme de ton âge qui est venu me voir tout à l'heure, quand je suis allée chercher mon courrier, raconta-t-elle. Il te cherchait.

Naho arqua un sourcil, surprise. Qui viendrait ennuyer une vieille femme un samedi matin pour la voir ? Tandis qu'elle réfléchissait, elle vit que Madame Kobayashi guettait sa réaction avant de continuer.

— Qui ça ?
— Il n'a pas donné son nom, répondit la retraitée, et un petit sourire espiègle se dessina sur ses lèvres. Mais c'était un beau jeune homme.

La lycéenne roula des yeux quant à la tournure que prenait cette conversation, qu'elle éviterait à tout prix néanmoins. Quoi de mieux que de parler garçons avec sa voisine veuve de quatre-vingt-deux ans ?

— Il voulait savoir si tu habitais ici, poursuivit-elle. Il disait qu'il avait quelque chose qui t'appartenait.

Cette fois-ci, Naho fronçait les sourcils, redoutant ce qu'elle allait entendre. Quelque part au fond d'elle, elle savait qui était ce mystérieux jeune homme. Et elle savait également ce qu'il détenait.

— Je lui ai proposé de me le laisser et je te l'aurais donné dans la journée, mais il a refusé. Alors je lui ai dit que je te préviendrais de son passage. Il était très poli, ajouta-t-elle avec un sourire plein de mystère.

Pendant ce temps-là, la jeune fille rongeait son frein et s'efforçait d'écouter la retraitée sans s'emporter, ce qui lui était très difficile étant donné que le sujet même de la discussion était la source de cette colère. Prétextant des devoirs à faire, Naho coupa court à la conversation et prit le chemin de la sortie. Une fois la porte de sa voisine fermée, elle jeta un coup d'œil à la porte des escaliers et hésita une bonne minute à retourner chez elle. Néanmoins, elle renonça à la dernière seconde et sortit de l'immeuble en trombe. Elle n'avait qu'une destination en tête : encore et toujours le Parc des Violettes.

Sumire Koen ✧ au Parc des Violettes |IE|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant