⋅ Partie 19 ⋅

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Parc des Violettes - 17h12

La limousine fut à peine garée en bordure de route que Naho bondit hors du véhicule, malgré les consignes de sécurité de Kidou Yuuto, qu'elle abandonna sans un regard dans son luxe étouffant. La lycéenne entra d'un pas décidé dans le Parc des Violettes et, spontanément, se dirigea vers le petit terrain au bout du parc. Elle marchait à toute allure, inquiète pour son frère qu'elle avait, bien malgré elle, laissé entre les mains de Nosaka. En outre, elle était encore bouleversée par les découvertes qu'elle avait faites au sujet d'Ichihoshi, et même si elle avait fait un vague rapport à Kidou pendant le trajet, elle préférait en parler avec Nosaka.

Ils ne l'avaient pas encore remarquée, mais elle avait sans mal repéré la tignasse rouge de Nosaka, assis sur le dossier du banc du terrain. Debout devant lui, Tohru avait l'air aux anges : il gesticulait dans tous les sens et criait à tue-tête. En dépit de son impatience, Naho réprima un sourire moqueur : vas-y Tohru, casse-lui les pieds, venge ta grande sœur !

La brune serait volontiers restée dans l'ombre, à observer cette scène surréaliste, mais le ciel l'en dissuada bien vite. Les nuages d'orage obscurcissaient le ciel à vue d'œil, lourds de menace et d'électricité. Prévisible, après une telle semaine de chaleur caniculaire ; le ciel se déchaînerait ce soir.

— Naho ! s'exlama Tohru, aussitôt qu'il l'aperçut en haut des marches du terrain. Regarde avec qui j'suis !

Tout en s'efforçant de rester impassible, la jeune fille tourna le regard vers Nosaka, dont les lèvres se retroussèrent en un sourire narquois aussitôt qu'elle posa les yeux sur lui. Quelques mèches de ses cheveux rouges valsaient au gré de la brise qui se levait, et ses yeux étaient à peine plus clairs que le ciel orageux. Renversant. Les doigts de Naho se crispèrent sur l'anse de son sac, et elle descendit les dernières marches qui la séparaient du terrain de football, pour rejoindre Tohru et le footballeur.

— C'est Nosaka Yuuma ! présenta son petit frère, dont la voix frôlait les ultrasons tant il était enthousiaste. Tu te rends compte ?!
— Hello, glissa-t-il entre deux cris de Tohru, accompagnant son salut d'un geste de la main.
— Tu sais, il joue dans l'équipe nationale ! Dire que j'ai traité Natsu et Kou de mythos quand ils m'ont dit qu'ils l'avaient rencontré, oh la la...

Tiens, ces deux-là n'avaient pas craché le morceau pour Nosaka et elle ? Elle secoua la tête. Il n'y avait pas de « Nosaka et elle ». L'idée était si saugrenue qu'elle leva les yeux au ciel face à sa propre bêtise. Malgré tout, ça l'arrangeait bien, qu'ils l'aient oubliée. Sûrement étaient-ils trop obnubilés par le grand Nosaka Yuuma et ses bracelets colorés. Tohru n'échappait pas à la règle ; il contemplait le footballeur comme s'il était un dieu parmi les mortels. Bien sûr, Hermès, le dieu des voleurs et des maître-chanteurs, pensa Naho.

Le tonnerre gronda soudain au dessus d'eux et fit trembler le parc déserté par ses promeneurs. La peur saisit aussitôt Tohru, qui cessa de sautiller sur place et couina, avant de disparaître derrière Nosaka, comme s'il pouvait le protéger des caprices du ciel. Ce dernier ne sembla pas surpris pour un sou, mais lança tout de même un regard interrogateur à la jeune femme. Elle devait lui rendre compte de son aventure à l'hôpital ; tant pis, elle le ferait plus tard.

— Rentrons, décréta-t-elle.

La petite tête de Tohru apparut à côté de Nosaka quand il se pencha hors de sa cachette, les lèvres pincées en une moue terrifiée. Son ton larmoyant et ses grands yeux verts auraient presque pu attendrir un dictateur.

— Il peut venir avec nous ?
— Qui ? tressaillit Naho, redoutant ce qu'elle voyait venir gros comme une maison.
— Lui.
— Nosaka ?

Sous la stupeur, sa voix était partie dans les aigus et elle s'éclaircit la gorge. Tohru dodelina de la tête, toujours à moitié caché derrière le footballeur qui se retenait visiblement de rire. Et, comme sa sœur ne daignait pas lui répondre, le petit garçon s'empressa d'ajouter, les lèvres tremblantes :

— S'il te plaît ?

L'adolescente ferma les yeux en soupirant. C'était là l'occasion rêvée de lui parler d'Ichihoshi, bien sûr, mais ce n'était pas si facile. Elle s'était toujours évertuée à garder Nosaka loin de chez elle, quand bien même il savait où elle habitait. Le Parc des Violettes était la dernière frontière entre le garçon et sa maison. S'il parvenait à la franchir, il n'y aurait pas de retour en arrière : il saurait l'atteindre au plus profond d'elle-même. Mais tout cela, évidemment, elle ne pouvait pas l'expliquer à Tohru.

— Tu sais qu'il va pas pouvoir te protéger de l'orage ? Au mieux, il fera paratonnerre, argumenta-t-elle.

Du coin de l'œil, elle vit Nosaka hausser un sourcil surpris et elle s'en délecta. Bien. Elle ne chanterait certainement pas ses louanges auprès de son frère. D'ailleurs, ce dernier sortit pour de bon de sa cachette improvisée pour venir se camper courageusement devant sa sœur.

— Oui, mais on va pas le laisser là, tout seul sous la pluie !
— Tout seul, sous la pluie, l'appuya Nosaka en levant vers elle des yeux de chien battu.

Naho hallucina. Il penchait la tête sur le côté, l'air terriblement malheureux. Elle le savait manipulateur, mais pas au point de lui faire ce regard-là. Un sourire moqueur naquit au coin de ses lèvres quand elle le foudroya du regard, tandis que Tohru étalait d'autres arguments plus ou moins imparables, dans l'intention de recueillir Nosaka à la maison.

— Et s'il se fait kidnapper par des extra-terrestres, ça sera de notre faute ! Faut qu'il vienne avec nous, Naho ! continuait de piailler Tohru, dont la détermination sans faille fit sourire sa sœur.

Une goutte de pluie s'écrasa alors sur la joue de Naho et elle leva le nez vers les nuages, la bouche entrouverte. Un éclair zébra le ciel à l'horizon, bientôt suivi par le roulement du tonnerre qui fit de nouveau tressaillir Tohru. Plus le temps d'hésiter davantage. Elle attrapa promptement la main de son petit frère et lança un regard éloquent à Nosaka qui se redressa.

— Rentrons avant de finir trempés, murmura-t-elle simplement.

Leurs regards s'accrochèrent et le milieu de terrain acquiesça imperceptiblement. La pluie se densifia soudain. Et ils s'élancèrent vers la sortie du Parc des Violettes.

Sumire Koen ✧ au Parc des Violettes |IE|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant