⋅ Partie 11 ⋅

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Appartement Motomiya - 17h03

C'est avec une timidité surprenante que Naho ouvrit la porte de chez elle, après une course effrénée dans les escaliers de son immeuble. Elle passa discrètement la tête dans l'entrebâillement de la porte pour s'assurer que le vestibule était vide, avant d'entrer dans la pièce sur la pointe des pieds. Une fois débarrassée de ses baskets, elle avisa Tohru, à moitié caché derrière le mur du couloir. Il l'observait, un sourire espiègle sur les lèvres.

— Maman te cherche, murmura-t-il.
— J'ai cru comprendre, répondit la jeune fille en brandissant son téléphone portable.
— T'étais partie où ?

Elle ne répondit pas. De toute façon, elle n'en eut pas le temps, puisque leur mère apparut dans le couloir derrière Tohru, et ce dernier couina de surprise avant de déguerpir dans le couloir. On entendit sa porte se fermer, puis un silence pesant s'abattit sur le vestibule. Mal à l'aise, Naho avança dans le couloir en se frottant les bras.

— Hayato m'a dit que tu avais besoin de moi ? commença-t-elle aussitôt pour finir cette discussion au plus vite.

À bien y réfléchir, elle n'avait rien fait de mal. Elle était juste partie régler cette histoire avec Nosaka – même si elle n'avait toujours pas récupéré sa cravate au final. La lycéenne se perdit quelques secondes dans ses pensées et l'imagina revenir devant le bâtiment principal pour s'aviser qu'elle avait disparu. Malgré les nombreuses fois où il lui avait tapé sur le système, Naho ne put retenir l'once de culpabilité qui lui enserra le cœur.

Cependant, l'adolescente prit sur elle et leva les yeux vers sa mère. Contre toute attente, elle n'avait pas l'air fâchée. Ses yeux semblaient fatigués, mais mis à part ça, tout avait l'air... normal. Saleté de Hayato à toujours en rajouter pour faire peur aux gens.

— Oui, j'ai besoin de toi à la maison. Je pars à Tokyo, lui annonça la quadragénaire.

Ça, en revanche, ce n'était pas normal. La brunette ne cacha pas sa surprise, ce qui arracha un sourire attendri à sa maman.

— Pas définitivement, se corrigea-t-elle en tapotant le crâne de sa fille. Je vais juste chercher ton père. Faut bien qu'il rentre à la maison de temps en temps, lui aussi.
— Mais c'est à au moins deux heures et demie de route avec les bouchons, protesta Naho.
— C'est pour ça que je te voulais ici à dix-sept heures.

Sa mère la contourna et Naho s'aperçut qu'elle était déjà toute prête à partir : elle avait sa veste sur le dos et son sac à la main. Une fois ses chaussures enfilées, elle s'empara de ses clés de voiture puis se tourna une dernière fois vers sa fille.

— Je serai pas rentrée avant vingt-deux heures au moins, poursuivit-elle, la main sur la poignée de la porte. Surveille tes petits frères, mettez un film, faites ce que vous voulez. Je vous ai préparé des plateaux repas, tu n'as plus qu'à les réchauffer.

À peine sa tirade achevée que la porte se ferma sur son sourire contrit. Pendant quelques secondes, la lycéenne resta les bras ballants, les yeux rivés vers la porte, avant de se ressaisir et d'entrer dans le salon. Sans surprise, elle trouva Hayato assis devant le téléviseur. Ses yeux quittèrent l'écran pour se fixer sur Naho avant qu'un sourire narquois ne lui éclaire le visage. Il leva les mains en signe d'innocence quand elle le fusilla du regard.

— J'ai fait ça pour maman, se justifia-t-il. Elle a dit qu'elle avait besoin de toi au plus vite.
— La ferme, je me vengerai.

Par la faute de cet abruti, elle avait laissé Nosaka en plan pour se dépêcher de rentrer alors qu'elle aurait sans doute pu rester pour récupérer sa cravate. Elle eut une soudaine envie de s'arracher les cheveux, puis ceux de son frère, mais préféra utiliser cette énergie négative pour quelque chose de plus productif.

— Tohru, ramène-toi !

Une fois que le benjamin de la famille les eut rejoints, elle expliqua à ses deux cadets le programme de la soirée. Ils reçurent ainsi à eux deux la lourde tâche de choisir le film qu'ils regarderaient tous ce soir. Ce fut un choix difficile : il leur fallut une bonne demi-heure pour se mettre d'accord, pour au final se rabattre sur un film d'animation qu'ils avaient déjà vu et revu, mais dont ils ne se lassaient pas.

Pendant cette longue période de délibération – qui se rapprochait de l'ère géologique en terme de durée plutôt que de la discussion normale entre deux frères insupportables, Naho s'isola dans la salle de bains. Elle était encore en nage après sa séance de sport forcée et son petit sprint des familles pour rentrer. Elle se fit couler un bain et alors qu'elle venait juste de s'installer dans l'eau chaude en soupirant de plaisir, son téléphone vibra, depuis le bord du lavabo.

— Non mais je rêve, marmonna-t-elle en se passant une main mouillée sur le visage. Personne ne peut me voir assise sur cette planète.

Certes, peut-être qu'elle exagérait, peut-être était-elle comme Hayato à toujours en rajouter, mais c'était de famille. Après un soupir las et une série de bruits plus étranges les uns que les autres, elle se contorsionna pour essuyer ses mains et attraper son smartphone. Ceci fait, elle le déverrouilla pour découvrir un message de Nosaka. De toute évidence, il n'y avait que lui pour lui envoyer des messages aux pires moments.

— Qu'est-ce que tu veux, Nosaka ? soupira-t-elle à voix haute – même si au fond, elle savait très bien pourquoi il lui envoyait ce message.

« Je crois que t'as oublié quelque chose en partant. »

Sans que ça ne l'étonne, le message était dénué d'un quelconque émoji. Comme dans la vie réelle, il ne dévoilait presque aucune émotion quand il parlait. Elle choisit alors de rester dans le même registre.

« Désolée, j'ai eu une urgence chez moi. »

À peine le message envoyé qu'elle le regretta aussitôt. La première fois qu'elle répondait à Nosaka, c'était pour lui présenter des excuses. Sa fierté en prenait un coup. D'autant que tout dans ce message lui rappelait le sourire narquois du garçon. Sourire qui l'énervait au plus haut point, ce qu'elle ne manqua pas de lui rappeler dans un deuxième message.

« Et efface ce stupide sourire de ton visage. »

Ce doux visage, songea-t-elle à regret. Quelle injustice quand même, qu'il ait tout ce charme en étant aussi détestable !

« Comment t'as deviné ? Tu m'espionnes, c'est ça ? »

Elle eut un petit rire, trop fière de l'avoir pris de court. Quelque part au fond d'elle, ça l'amusait, tout ça. Oubliant presque qu'elle était dans son bain, elle se hâta de répondre.

« Je commence à te connaître, c'est tout, ne t'emballe pas. »
« Mince, moi qui croyait avoir une stalker de plus... »

Les lèvres de Naho frémirent une seconde fois, quand elle esquissa inconsciemment un nouveau sourire.

« C'est exactement ce que je voulais dire par "ne t'emballes pas". »
« Tu m'as laissé ta cravate pour qu'on se revoie, si c'est pas une technique de stalker ça. »
« ...D'accord. Pomme + pantoufle = chameau. »

Si les messages s'étaient enchaînés de façon fluide jusque là, le dernier message de Naho mit pause à la conversation. La lycéenne ne retint pas un ricanement, satisfaite de son effet, et profita de cette pause inopinée pour poser son téléphone et se laver les cheveux. Ceci fait, elle lut enfin le message de Nosaka.

« À mon tour d'être sceptique devant ton message. »
« Ce que tu dis n'as aucun sens. Je réponds par quelque chose de tout aussi illogique. »
« Je vois. Tu en as d'autres des réponses comme ça ? »
« Tout dépend des messages que tu enverras. »

Une fois ce dernier message envoyé, elle reposa définitivement son smartphone près de l'évier, avant qu'il ne tombe dans l'eau du bain par inadvertance. Tout en se rallongeant dans la baignoire, paupières closes, elle s'autorisa un petit sourire satisfait.

Sumire Koen ✧ au Parc des Violettes |IE|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant