Entre nous un monde

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« Regarde-moi Marie et dis-moi ce que tu penses. » la suppliai-je dans un soupir. Car je ne supportais plus ce silence qui me torturait, ce doute qui planait dans l’air. Marie me tourna le dos, fit remonter sur son corps tanné le drap blanc, me laissant seul dans ma tourmente. Elle s’endormit presqu’aussitôt, lasse. Je voyais bien qu’elle voulait se soustraire à mes questionnements sceptiques. Néanmoins, que mon comportement l’agaçât ne contribua pas à me donner envie de lâcher-prise. Je voulais tout savoir. Je voulais tout comprendre. Pourquoi me paraissait-elle soudainement si inconnue après sept ans de vie commune ?

Hier encore tout me semblait clair et je ne me souciais point de savoir ce qu’elle pouvait cacher derrière ses rires et ses silences, Je croyais la connaitre pour avoir connu les courbes et les creux son corps. Je me croyais le plus heureux des hommes, le plus parfait des maris, c’est-à-dire un homme capable de dominer sa femme, de la diriger et de l’aimer comme aucun autre ne pouvait le faire. J’étais parfait pour mon rôle et nul autre n’aurait pu me remplacer.

Mais aujourd’hui seulement je comprenais que je n’étais rien qu’un simple être à partager son lit et une infime partie de sa vie, car Marie en réalité n’était qu’une œuvre que je pouvais me vanter de contempler jour et nuit seul la beauté, mais dont je ne saisissais pas le sens ou la raison d’être. Béat j’étais face à son mystère. Elle m’était inconnue voilà !

Je ne pris conscience de cette déroutante réalité qu’en cette fin d’après-midi. Nous marchions aux environs du Champ de Mars, à la recherche de tessons d’émotions perdues. Celles que nous nous partagions à l’époque de l’éclosion de l’amour. « Sortons de la routine ! » m’avait-elle dit. Et je n’ai rien trouvé de mieux pour changer de nos soirées emmurés dans nos silences, qu’une promenade dans les rues de Port-au-Prince - impropice pour les amoureux. - Nous discutions depuis quelques minutes déjà. La terre dans son trajet bifurquait timidement vers l’obscurité, abandonnant sans regret le soleil, complice des maux du monde, de la ville, des hommes. Les lampadaires s’étaient allumés. Les travailleurs retardés par leurs activités de la journée s’empressaient de rentrer dans leur refuge quoiqu’incertain, loin des mystères et des dangers de la nuit. Marie observait fascinée les va-et-vient de ces âmes sans noms, très peu intéressée par notre conversation. Jusqu’à ce qu’elle ne propose une idée soudainement, se tournant brusquement vers moi, comme si elle venait d’être sujet d’une quelconque illumination. « Faisons-nous quelques confidences » lança-t-elle de but en blanc.
Mais de quoi tu parles, la questionnai-je incompréhensif, nous sommes mariés depuis tant d’années, tu sais tout de moi.
Marie et moi vivions sous le même toit, nous partagions une grande partie de notre temps, des fragments de nos vies. Qui d’autres qu’elle pouvait mieux me connaitre ?
En es-tu sure ? Enchérit-elle de plus belle, sourire espiègle sur les lèvres. Nous sommes certainement mariés depuis longtemps, mais cela ne veut pas dire qu’on se dit tout. Tu ne connais pas mes moindres secrets, mes hésitations. Tu ne sais pas ce qui me frustre lors de mes interminables journées à la maison. Tu ne connais pas les moindres recoins de mon passé ni mes désirs coupables. Et moi je ne sais pas ce à quoi tu penses lorsque tu t’allonges des heures dans le canapé les vendredis soirs sans un mot. Je ne connais pas tes désirs obscurs ni tes peines. Vivre ensemble ne veut pas dire qu’on arrive à briser les masques de l’autre, ni qu’on arrive à sonder tout ce qu’il est au plus profond de lui-même.

Sa déclaration me prit de court. Et nul n’osait prononcer mot. Alors nous demeurions quelques instants en silence. Moi, à constater ce gouffre qui nous séparait depuis toujours sans que je ne m’en sois rendu compte, et elle à me tenir par la main, comme pour réduire la distance.  Elle était proche. Proche au point que je sente la chaleur de sa peau noire réchauffer mon être entier. Et pourtant rien ne se faisait. Elle s’était éloignée peu à peu, à chaque mot, chaque pas vers ma prise de conscience. Ce fut elle qui rompit la glace, aves les premiers mots de sa confidence :
« Il me semble que toute ma vie j’ai cru au mensonge qu’il fallait nécessairement se sacrifier, lorsqu'on est femme, au nom de l’amour. Jeune, j’ai vêtu le masque qu’a voulu me voir porter la société. Je me suis engagé aveuglément dans une certaine lutte contre mes sœurs. J’en ai terrassé quelques-unes, parce que j’ai cru qu’il fallait de cela, pour mériter le droit d’être aimé.

À l'Ombre d'Une Pergola Tome 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant