Portées Disparues

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(Inspirée d’une histoire vraie...)






Autrefois dans une petite maison du quartier Saint-Antoine habitait, avec ses enfants, la veuve d'un ex milicien duvaliériste décapité lors de la chute du régime dictatorial. Madame Dominique, ainsi qu'on l'appelait, avait aisément gagné sa vie en commençant d'abord par prostituer ses deux charmantes filles jumelles à peine âgées de 19 ans, Azalie et Marithérèse Dominique, à des quinquagénaires infidèles de la bourgeoisie. Elle transforma ensuite son domicile en une véritable maison close qu'elle dût agrandir face à l'augmentation de sa clientèle et de ses charmantes employées : Des jeunes demoiselles défavorisées mais avec un minimum de culture, ramassées un peu partout dans les bas quartiers et les bidonvilles de Port-au-Prince. L'entreprise connut alors la prospérité.

Puis les années passèrent et le séisme de 2010 se pointa. Il épargna la petite maison close de Saint-Antoine mais les protestants firent courir la propagande selon laquelle le drame n'était autre que l'expression de la colère divine en guise de punition au dépend des blasphémateurs, fornicateurs, bandits et autres pécheurs de la capitale. Les demoiselles de Madame Dominique finirent par décamper du fait que les ruelles s'emplissaient davantage d'hommes d'églises, de maris infidèles mais sans un sou, de gens de bonnes familles ruinés et de jeunes économistes pingres. Tous semblant préférer se reconvertir secrètement à la masturbation ou à la baise gratuite plutôt qu’être vus en compagnie de prostituées ou dépenser en bordel leur maigre pitance quotidienne. 

Les deux filles jumelles de la vieille maquerelle, Azalie et Marithérèse, quant à elles, disparurent. Personne ne les revit jamais depuis. La rumeur courrait qu'elles s'étaient fait la malle pour la République Dominicaine où elles se firent chacune épouser par un panyòl de Santo-Domingo. Quel que soit le scénario, elles durent abandonner leur mère, vieille loque humaine, avachie sous le poids de ses quatre vingtaines et dont la puanteur de pisse et d'excrément faisaient fuir les visiteurs. On la retrouva quelques mois plus tard pendue à une corde dans un figuier à l'arrière-cour de son domicile. À ses pieds reposait sur le sol une vieille flûte. Unique héritage de son défunt mari à part le petit mobilier.

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3 Octobre 2011

Zoupim traîna encore un peu au marché Salomon tout en se disant que son retard lui vaudra peut-être quelques baffes entre les mains de la cuisinière en arrivant à l'orphelinat. En même temps elle se dit que ça en valait bien la peine car si elle n'avait pas un peu fouiné devant l'étal de madan Jobè elle n'aurait pas pu remettre la main sur cette bonne vielle flûte. Elle l'avait égaré au marché depuis une bonne demie heure et venait de la retrouver en fouillant par hasard dans une pile de détritus couvert de mouche à la recherche d'une vieille poupée qu'elle aurait apporté à sa sœur Bèbè. Elle se promit de lui en apporter une la prochaine fois, quitta enfin le marché Salomon, longea à pied le Chemin des Dalles en passant devant le Palais National.
Zoupim repensa à la façon dont le père Mathurin lui avait touché le corps l'autre soir. Elle n'avait rien ressenti. Ni lorsque du revers de sa main qu'elle sentait glaciale il lui avait effleuré les joues. Lui avait pressé les fesses. Massé les seins. Palpé le bas-ventre. Le pubis. Mis un doigt sur sa bouche avant d'en mettre un autre dans son nombril. Puis dans son anus. Puis dans le reste... 
Pourtant elle lui avait bien dit, au père Mathurin. Elle lui avait bien dit que sa douleur à l'épaule avait cessé. Qu'à présent elle allait nettement mieux et qu'elle se sentait prête à reprendre avec les autres les cours du soir et les corvées ménagères. Bien sûr elle n'était pas non plus médecin. Elle ne pouvait l'être. Elle n'avait que 10 ans. D'ailleurs maîtresse Jacqueline la fouettait souvent pour la punir de ses notes calamiteuses en biologie. C'est qu'elle ne comprenait pas la raison pour laquelle le vieux père s'obstinait toujours à lui faire enlever sa petite culotte afin de soigner une légère crampe qui ne faisait que lui gêner le bas de l'épaule. Les maux ça se soigne à l'endroit où on les ressent, pas vrai? D'ailleurs elle se dit que le père Mathurin devrait penser à guérir l'enflement qui se forme au-devant de son pantalon à chacun de ses soirs où il l'ausculte. Devrait-elle lui en parler? La petite fille n'en fit cependant rien et le soir venu elle subit une dernière fois sans broncher la perversité maladive du vieux père qui souilla une fois de plus son âme d'enfant innocent. Fragile. Délaissée...

À l'Ombre d'Une Pergola Tome 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant