La Ligne Verte

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Il était quatre heures de l’après-midi, comme chaque jour, je reprenais ma routine après avoir fini de vendre en gros ma force de travail au patron qui possédait les moyens de production. Je travaillais très dur, mais je gagnais assez bien ma vie. Je vivais dans un quartier résidentiel avec cette femme à qui j’ai passé une bague et du même coup mon cœur il y a deux ans de cela. Ma maison était ma forteresse, le seul endroit où je pouvais recouvrer mes raisons de vivre après une journée où j’en ai vu de toutes les couleurs. Ce jour-là a été particulièrement difficile pour moi. En tant que directeur d’une usine qui venait d’être privatisée, j’étais responsable de communiquer la nouvelle aux employés dont la moitié a été renvoyée sur le champ. Je venais d’annoncer à des centaines de pères et de mères de famille qu’ils avaient perdu leur travail. Cela était dur, mais cela faisait aussi partie de mes responsabilités, je devais malgré moi leur annoncer.

J’ai vu le désespoir s’emparer de ses hommes et femmes courageux qui venaient chaque jour gagner leur salaire dans le but de renouveler leur force de travail qu’ils échangeaient contre ce misérable salaire. Du même coup, ils reproduisaient ce système infernal qui gangrenait leur vie mais qui leur laissait croire qu’ils étaient des privilégiés parce qu’ils avaient un boulot que des milliers d’autres enviaient, mais sachant foncièrement que ce n’était que du chômage déguisé. J’ai vu des adultes pleurer comme des enfants à qui on enlevait leurs jouets préférés après mon discours qui allait sans doute changer le cours de plusieurs centaines de vie. J’avais hâte de retrouver la paix que me procurait mon chez-moi, j’avais hâte de partager ce que je ressentais avec mon épouse. 

Ma femme, elle était d’une grâce incarnant une déesse. Elle n’avait absolument rien à envier à toutes ses femmes d’une grande beauté qui étaient des stars de télévisions. Elle était une brune avec des cheveux noirs qui pendaient jusque sur le bas de son dos qui soutenait des courbes qui faisaient rêver. Ses yeux noisettes transmettaient une pureté indescriptible et rien que le contact de sa peau pouvait me ravir dans une douce frénésie. Elle était intelligente et toujours à l’écoute de ce mi- enfant mi- adulte que j’étais, qui avait toujours besoin d’extérioriser ses désappointements. Elle pouvait être tout ce qu’elle voulait, elle aurait pu marquer le monde, mais je voyais les choses autrement. Je l’ai claquemuré dans mon microcosme dénaturé, et malgré les diplômes qu’elle a eus avant notre mariage, ma jalousie maladive m’a poussé à l’exiger à rester cloitrée à la maison menant au quotidien une existence austère et être cette mère que je voulais qu’elle soit, cette femme au foyer qu’a été ma mère, ma grand-mère, ma tante et toutes les femmes de mon entourage avant elle. J’ai été l’homme, le produit de mon milieu. Elle était indépendante avant notre mariage, je la laissais profiter de l’air libre à son aise, car j’avais des projets pour elle. Je savais au plus profond de moi que quand je lui passerais une bague rien ne serait plus jamais comme avant, je savais qu’elle deviendrait ma femme, mon enfant, ma petite sœur, ma concierge et tout ce que je voulais qu’elle soit. Malgré cette restriction de liberté, elle semblait heureuse et épanouie, tant que je lui ramenais tout ce dont elle avait besoin pour être cette princesse de chambre que j’ai fait d’elle.

La barrière à peine franchie, j’ai senti une brise glaciale me caresser mielleusement la peau. Je reniflais déjà la fragrance de l’accalmie dont j’avais besoin pour gommer les cauchemars des heures précédentes. J’ai pénétré la salle à manger lorsque j’ai entendu un bruit venant de notre chambre à l’étage. J’avançais lentement à la rencontre de ce grabuge qui prenait chair dans cette maison qui était d’une naturelle froideur. Je gravissais les escaliers sur la pointe des pieds comme pour me mettre à l’abri d’un éventuel danger. Plus j’avançais, plus la tonalité de ce bruit semblait prendre une autre allure, j’entendais des gémissements et des cris. Trois pas de plus et je n’avais plus aucun doute, des gens faisaient l’amour dans ma maison et qui plus est, dans notre lit. Cette fois, j’essayais d’isoler les gémissements.  Il y avait entre autres une voix qui ne cessera jamais de me hanter, celle de ma femme. Je me tenais devant une persienne et je les observais comme pour m’enfoncer un peu plus dans ce cauchemar ambulant que devenait ma journée.

À l'Ombre d'Une Pergola Tome 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant