Sombre Étincelle

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Un après-midi où il y avait de gros nuages noirs dans le ciel qui annonçaient une grosse pluie pour la soirée, je me promenais tranquillement, mon âme macabre, avec mon pauvre chien qui avait marre de me consoler à chaque fois. Je me suis embaumée de l'odeur suave du chaos. Je me suis arrêtée quelque part je ne me souviens plus. C'était à Jacmel. Je me suis assise. Les gouttes commençaient à tomber sur mon visage. Et comme les nuages, mes glandes lacrymales se sont aussi lâchées. Je suis restée là, jambes repliées contre moi, visage baigné de larmes. J'ai fermé les yeux et offert mon visage à la pluie. Elle me fouettait. Je le méritais. Mon chien aboyait lamentablement, je ne me suis pas occupée de ses aboiements alors il s'est calmé et s'est mis près de moi. Peu de temps après, la pluie a cessé. Le ciel a projeté ses six couleurs et c'était beau, mais rapidement il a rejeté les six autres couleurs pour ne retenir que le noir. Comme si lui aussi voulait extérioriser son ressenti. J'ai alors décidé de rebrousser chemin. Plus j'avance, plus mes étincelles d'espoir s'éclipsent. Plus j'y pense, plus j'y crois. Les autres me font peur. J'en tremble presque.
Je n'ai jamais été une battante mais je gardais la tête haute. Je n'ai jamais été une rebelle, j’en donnais juste l'impression. Et pourtant je vivais.
Je vivais jusqu'à ce que cette histoire vienne tout remettre en question. Cette histoire qui a changé ma vie. Cette histoire qui a interrompu ma carrière de chanteuse.  Cette histoire qui m'a tuée pour ne laisser que mon spectre déambuler dans les rues de Port-au-Prince. J'aurais pu. J'aurais dû.

       Hors de ma tête, hors de mon monde
       Dans ma vie, tellement d'étapes immondes!
       Parfois j'aurais voulu ne pas exister
       Des fois je veux juste m'évader
       M'évader, oublier, partir
       Partir, revenir faire mes adieux et mourir
       Mourir pour tuer mes souvenirs
       Mourir pour tuer mes désirs

À l'époque où j'écrivais ces choses je crois que j'avais déjà perdu la boule. Je me suis laissée intimider par ceux qui me voulaient du tort, ils m'ont gagnée.
Je crois que l'Autre Kellsie est partie définitivement. Celle qui était forte et qui gardait la tête haute en toute circonstance. J'étais dans mes pensées. Je me rappelle de ce jour, j'ai ouvert la fenêtre et j'ai laissé le soleil inonder ma chambre et je suis retournée sur mon lit, nue, le drap recouvrant à peine mes cuisses et je lisais un livre de Paulo Coelho titré ''Sur le bord de la rivière Piedra je me suis assise et j'ai pleuré'', le soleil caressait ma peau noire et pourtant il n'irradiait pas mon âme. Je crois que l'Autre était la bonne, elle était heureuse. Elle me manque un peu la Kellsie Guillaume qui chantait en pleurant.
L’homme dans le livre de Coelho a cessé de ''vivre l'Autre'', mais contrairement à lui je ne l'ai pas chassée, c’est elle qui s'est barrée sans crier gare. Je voudrais bien qu'elle revienne un tant soit peu, comme ça j'aurai le courage de retourner vivre dans mon pays. Dignement. Sainement. Pleinement. Vivement qu'à leurs yeux je vive, que je cesse d'exister.

    Et tous ces regards de pitié
   Qui me donnent envie de chialer
   Mais qui sont-ils pour me juger?
   Ça me démange de ne pouvoir les gifler
   De toutes mes forces, je me sens vidée
    Je ne peux plus reculer
   Mes actes, je dois les assumer
   Ma vie, je dois la gérer

Une ascension rapide peut entraîner une chute des plus vertigineuses. Sans le vouloir, sans le demander, j'ai percé plus tôt que je ne l'avais prévu dans la musique. Ma voix envoûtante inspirait des gens. Ma voix faisait vibrer, elle était tout ce que je possédais, mon mal-être et mon bien-être, mon bonheur et mon malheur, ma joie et ma peine. Mes mots étaient paraplégiques. Elle ne se pliait pas à mon volonté, elle agissait comme bon lui semble. Mon corps était mon antagoniste. Je n'ai jamais misé sur mon corps, je ne l'ai jamais accepté comme atout mais cette société en a décidé autrement et je dois bien l'admettre que ce corps a bel et bien contribué à mon ascension. Deux albums en deux ans. Beaucoup de concerts. Beaucoup de collaborations. On ne connait que le prix des choses, on ignore ce que vaut la personne. J'essayais de convaincre tout le monde que je vivais, que je ne suis pas ce qu'ils pensent, que j'ai changé mais jamais moi-même. Pour au final constater que ça ne rimait à rien. Je n'étais qu’un pion de plus sur l'échiquier.
Je suis fissurée, craquelée, démantibulée. J'ai pensé à m'en remettre. J'ai pensé à me relever. Mais mon étincelle d'espoir s'est éteinte et je continue à tâtonner dans le noir total. Mon désarroi s'accroît jour après jour. En lambeaux, toutes mes forces m'ont quittée. Et je pense encore aux autres.
Je me demande si on est tous réellement différents, pourquoi on se retrouve en l'autre, pourquoi se sent-on à l'aise en sa présence et ressent-on un vide en son absence, pourquoi on change d'humeur quand l'autre nous embête, pourquoi on déteste l'autre quand il ne fait pas ce que nous aimons? Tant de pourquoi! Tant de pourquoi qui n'ont pas de parce que!
Lui, c'est moi. Elle, c'est encore moi. Du moins ils sont le reflet de ce que je suis et je me vois en eux. Et je suis leur reflet. C'est donc pour ça que tout le monde ne peut être ami avec tout le monde, on n’aime que son reflet.  Mais c'est tellement difficile de reconnaître ses torts, de ne pas accepter ses défauts et ceux de l'autre. Autant dire que nous n'aimons que notre reflet, le bon reflet pas le mauvais.

À l'Ombre d'Une Pergola Tome 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant