Il existe un grand fossé entre vivre et respirer. Sans doute, je ne faisais que respirer jusqu'à cette nuit pendant laquelle j'avais cherché la mort. Je me sentais prisonnier dans un tunnel dans lequel peu importe la distance parcourue, je ne parvenais jamais à voir la lumière. J'étais devenu le fantôme qui hantait ma propre existence. Je ne serai peut-être pas la première personne à vouloir en finir avec ses problèmes, mais, serai-je parmis les rares qui sont arrivés à les surmonter?
Cette nuit-là, mes pieds m'amenèrent jusqu'au pont que je traversais chaque matin pour me rendre au boulot. Il n'y avait que le silence pour me tenir compagnie pendant ces quelques minutes où mon cœur battait encore. Le vent soufflait une douce musique mélancolique qui fit remonter mes plus sombres souvenirs. Et, chaque pensée de ma femme et mon enfant tournoyait tel un couteau dans des blessures sanguinolentes. Un rire amer s'échappa de mes lèvres tandis que mon âme se mettait à explorer timidement ma future tombe. La rivière en crue, à quelques mètres au-dessous de moi, semblait m'appeler à une paix éternelle. Le bruit de l'eau en colère fit rejouer, à travers ses notes discordantes, ce fameux jour où ma vie a basculé.
Nous revenions de son récital, un samedi soir et nous ignorions encore que ce serait la dernière fois qu'on entendrait notre fille chanter. Ma femme et moi, en seize années de mariage, n'avions réussi à avoir qu'un seul enfant à la veille d'une ménopause imminente. Cette fille était devenue notre raison d'être; la force dont on avait besoin pour se réveiller tous les matins. Elle était celle qui nous réconciliait toutes ces fois où nous avions voulu laisser tomber. Elle était surtout celle qui nous rappelait à chaque instant que nous étions des combattants.
Elle n'avait que neuf ans quand le pire allait se produire. Ses éclats de rire résonnèrent en moi comme si c'était hier. Nous marchions dans les rues éclairées tantôt par les phares des voitures tantôt par les lumières blafardes de quelques poteaux électriques. Ma femme et moi la tenions par la main tandis qu'elle ressassait sans cesse les paroles de sa chanson.Tandis que nos visages portaient encore ces sourires de béatitude, le diable était subitement apparu sur nos chemins. Un homme dont je ne pouvais distinguer le visage avait brandi son revolver dans notre direction. " Ban m tout sa k sou nou. " C'était la première chose qu'il avait dite. J'avais essayé de rester calme alors que les deux femmes de ma vie ne pouvaient plus cacher leur affolement. Les quelques passants qui avaient remarqué la scène avaient doublé le pas pour nous laisser seuls avec notre sort.
Mes mains tremblaient tandis que je lui tendais mon portefeuille. Le voleur était très mécontent de constater que je n'avais que cinq cents gourdes. " Nou pa gen telefòn sou nou?" S'enquérit-il d'une voix autoritaire.Malheureusement, nous avions laissé nos portables de grande marque à la maison. Ma femme l'avait donné son " Edem peze" qu'il n'avait pas hésité à écraser au sol. Mon cœur battait à tout rompre. Je sentais déjà venir le pire et je m'étais senti si impuissant.
Ma fille, Doriah, s'accrochait aux pans de la robe de sa mère, saccagée par ses spasmes. Le voleur avait pointé son arme sur elle. Ma femme et moi le supplions de nous laisser partir. " Sa nou vo?" Avait-il dit d'une voix hautaine. Puis, un coup de feu partit.
Mon cœur rata un battement au souvenir de ce son qui semble aujourd’hui encore si réel. Une larme dégoulina le long de ma joue; ma respiration se bloquait dans ma gorge. Quelques semaines après cet évènement, ma femme était morte de chagrin.
Mes pieds diminuèrent la distance qui me séparait de l'extrémité du pont. Je ne savais pas si j'allais revoir ma famille mais, j'étais sûr d'une chose; je ne sentirais plus ce que j'étais en train de ressentir. Les battements de mon cœur s'accélérèrent à la vue de l'eau qui s'agitait sous mes pieds. Mon âme tremblait d'effroi. Aurais-je assez de courage pour sauter?
" Papa! J'ai demandé au père Noel de te donner mille vies pour que tu guérisses tous les malades du monde! " M'avait un jour déclaré Doriah. J'étais encore plus touché par sa réponse lorsque je lui avais demandé pourquoi elle voulait que je guérisse tous les malades du monde.
‘‘ Comme ça, leurs familles n'arrêteront pas de sourire.’’ M’avait-elle répondu avec la plus grande sincérité.
En tant que médecin, spécialisé en chirurgie cardio vasculaire, j'avais vu pleins de gens mourir sur les tables d'opération mais, jamais, n'avais-je pu imaginer ce que leurs proches pouvaient ressentir. La douleur était juste inhumaine. On n'avait qu'un seul désir, tout oublier. Mais, hélas, cela était impossible.
Je m'approchai un peu plus de l'extrémité du pont. Le bruit de l'eau devint plus fort et un vent froid me fouetta le visage. La mort me caressait déjà les entrailles. Je sentais ma fin venir à grands galops. Dans quelques minutes, je ne serais plus conscient de rien. Ma souffrance allait disparaître dans les profondeurs de cette eau déchaînée.Il ne me restait plus rien pour lequel je devais continuer à vivre. Chaque nuit passé seul dans mes draps froids était une perpétuelle torture. Je n'en pouvais plus d'être celui qui devait souffrir de la perte. Je n'avais plus la force; je n'étais que l'ombre de moi-même.
Mes paupières se refermèrent alors que je pris une grande inspiration pour me laisser aller. Le sang battait à tout rompre dans mes tempes. Je ne pouvais plus le nier; j'avais peur de mourir. Mais, j'avais encore plus peur de me réveiller encore une fois dans mon lit. Je sentis déjà le silence s'éprendre de mon âme. Je me sentis déjà très loin de cette vie merdique. Je m'apprêtais déjà à sauter quand j'entendis ces cris de détresse venant des alentours de la rivière. Je me reculai dans un mouvement de sursaut tandis que mon regard suivit la direction du bruit.
Il était là dans la pénombre. Son corps était à peine visible sous le faible éclairage de la lune. Un petit garçon s'accrochait à un tronc d'arbre que la rivière n'avait pas encore arraché. Il appelait à l'aide et contrairement à moi, il voulait vivre. Un frisson me parcourut toute l'échine puis, mes mains se mirent à trembler. Sauver ce garçon n'était plus qu'une question de secondes. Je sentis mon cœur se serrer; C'était trop pénible d'assister les derniers instants d'une personne sans ne rien pouvoir faire. J'étais le seul qui pourrait changer les peintures de ce tableau de désespoirr. Je courus jusqu'au bord de la rivière où je n'avais pas hésité à sauter.
Ses cris furent peu à peu emmitouflés par l'eau qui s'incrustait dans sa bouche. Son bras tenait à peine le tronc d'arbre quand j'arrivai à sa hauteur. Étrangement, je sentis ma situation s’inverser. Si ce petit garçon n'était pas emporté par la rivière, je serais sans doute en train d'agoniser dans les profondeurs de celle-ci. Je m'emparai de son bras fébrile alors que l'eau semblait le tirer de son côté. Je ne l'avais pas lâché jusqu'au moment où il se trouva de l'autre côté du danger. Un sentiment indescriptible s’empara de tout mon être. J'étais quelque part entre la fierté et la reconnaissance.
Ça avait l'air insensé, mais, on s'était sauvé la vie à tous les deux.Il toussa pendant un long moment. Je ne l'avais pas quitté du regard. Ses yeux rougis s'arrêtèrent sur moi et ce mot sortit comme un murmure: Merci. Un instant plus tard, des gens apparurent en courant dans notre direction. Une femme que j'avais deviné être sa mère l'avait pris dans ses bras en pleurant. Elle posa ensuite son regard plein de gratitude sur moi. Je me sentais... Utile.
Depuis cet incident, je ne me sentais plus tel le survivant que j'étais devenu après la mort de ma famille. Mais, je m'étais enfin vu comme le chanceux qui avait encore la possibilité d'aider une multitude de gens; Comme celui qui avait encore la chance de rendre le sourire à pleins de gens. J'avais peut-être perdu une grande partie de moi mais, je pouvais encore trouver le bonheur en le semant autour de moi. À chaque fois que j'aurais voulu abandonner, je me rappelais toujours que j'étais l'espoir dont quelqu'un, quelque part, avait besoin.
Malgre lavi ya fi n debachi m. M se lespwa anpil lòt moun.*
Leysha C.K. Jeune
*Malgré les vicissitudes de la vie, j'ai des responsabilités envers les autres.
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À l'Ombre d'Une Pergola Tome 3
Cerita Pendek« Le cœur, l'autre et la découverte... » Sous la Pergola se racontent tous les types d'histoires et cela fait un bon bout de temps. De temps à autre, un personnage passe, y laisse son empreinte et un peu de sa vie. Débordante d'imagination, la Pergo...