Miroir, Miroir, l'Autre c'est moi

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La soirée est calme, le ciel est dégagé. Les dernières lueurs des rayons du soleil s'éteignent derrière les montagnes. De loin, les bruits de la ville se tuent peu à peu. L'infime pulsation de vie en moi s'agrandit au fur et à mesure que la nuit tombait.
Je laissai tomber sur mon ventre le livre que j'étais en train de lire et mes pensées vagabondaient. Elles s'étaient imprégnées d'une solitude dangereuse et énervante suivie de mes journées et de mes soirées où je me suis claquemurée derrière ces quatre murs en compagnie de quelques vieux bouquins que je lisais à compte-goutte et délaissais quelques fois. Ils ne suffisaient plus à propulser mon mental qui parfois s'échouait sur le sol tel un corps en chute libre.

Je n'avais pas d'amis et je m'en plaignais quelques fois. Mais je savais que je ne pouvais m'en prendre qu'à moi-même de désirer ce que je n'en avais pas et en étais incapable de donner en retour. J'enviais à ma sœur. On a beau être sœur jumelle, à part notre ressemblance parfaite, elle était tout mon contraire. Il suffisait de la côtoyer et tout ton monde s'illuminait.
Je la voyais telle une machine multifonctionnelle qui ne s'attribuait aucune limite. Si je suis le mode passif, elle c'est le mode actif. Si rêver, imaginer était mon passe-temps, ma jumelle, elle, elle vivait ce dont je rêvais. Elle ne s'imposait aucune limite. Elle était vivifiante.
Nous étions différentes même à travers nos goûts. En fait, avec elle, c'était soit une touche en plus, soit tout. Par contre, j'étais plutôt sélective. Je ne faisais pas un ensemble de choses à l’inverse qu’elle pratiquait pour les mêmes raisons que je ne les faisais pas. De plus, elle en tirait une satisfaction à nulle autre pareille. J'avoue que je la jalouse quelques fois, mais je l'aime aussi plus que tout.
Et la seule chose qui arrivait à m'irriter parce que cela me hante depuis notre plus jeune enfance, c'est de me sentir vivre dans son ombre malgré qu'on se partage tout, excepté nos fréquentations.

Je regardais ma moitié de l'autre côté de la pièce. Elle se complaisait dans son nouveau jeu de vidéo qu'elle venait de se procurer. Elle avait mis des écouteurs pour ne pas avoir à me déranger mais cela ne l'empêchait pas non plus de crier mon nom toutes les dix minutes pour m'inviter à une partie. Ce n'est pas l'envie qui me manquait, mais quelque chose en moi me désintéressait à la seconde où l'envie de partager quelques instants avec elle me prenait.
Elle venait de se faire une victoire et elle me laissa entendre son juron favori, tout en se levant et en faisant un tour de rein qui prouvait sa bonne humeur. Quelques fois, je la trouvais vulgaire et manquant de retenue. Mais j'évitais de placer des remarques qui à son égard lui seraient futiles.
- Ma très chère sœur, je viens d'obtenir ma première victoire sur Fortnite. C'est dommage que tu ne m'aies pas rejoint.
Elle me disait cela avec un ton ironique. Et je reçus une tape sur les cuisses.
- C'est l'heure pour moi de sortir... C'est quasi impossible que je manque à l'anniversaire des triplets de Madame Censure... Ah! Je suis sûre que tu n'as pas une idée de qui je parle.
Puis sur un ton sarcastique, elle ajouta: « crois-moi, le monde partira sans toi... »
Et sans oublier, elle était noctambule. Les seules fois ou Alie ne sortait pas, c'est que la meute était au rendez-vous ici. Ce qui n'arrive pas fort souvent, puisqu’à posteriori, elle préfère ne pas se retrouver cloîtrée ici, encore moins avec moi...

D'un côté, je me sentais libérée de la voir partir. Et de l’autre, je détestais quand elle partait s'amuser tard le soir. Mais je me faisais une raison, je n'avais pas à m'inquiéter où à m'imaginer des scènes terrifiantes. C'est Alie, celle qu'on surnommait Soleï à cause des fonctions du soleil qu'elle remplissait dans la vie des autres. Rien ne pouvait lui arriver, parce qu'on ferait tout pour la protéger tant on l'admirait.

Je profitais alors de l'instant où je me retrouvais seule pour fantasmer. Je ne rêve pas d'être comme ma sœur. C'était pour moi quelque chose de tout à fait inimaginable. Mais je me permettais de rêvasser de cet univers que je n'osais pas créer autour de moi.
Sans encombre, je rejoins le toit au-dessus de ma chambre. Le vent glacial de la nuit frissonnait ma peau et hérissait mes poils.
La nuit était noire, ténébreuse. De L'autre côté, là où j'avais une parfaite vue, me parut mystérieuse. À Port-au-Prince, tout semblait dormir. Aucune lumière, aucune lampe allumée. Un parfait tableau ésotérique.
Je parie qu'Alie m'aurait dit: Li fenk jou.
C'était pourtant mon moment préféré de la journée. Là où tout se fait et se défait, là où tout se dit et se tait, là où tout prend naissance, vit puis meurt. L'instant toujours tant attendu pour être ce que l'on n'ose pas, pour être plus proche de notre vraie nature, fusionner avec notre identité.

À l'Ombre d'Une Pergola Tome 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant