Les Lamentations d'un Cocotier

107 22 0
                                    

Saint-Marc

                                      Histoire Contée Sous Les Tonnelles du Hougan Dieusilòm

Lundi 18 Mars



Dans les environs de Midi 





«  Grenn Zaboka, Sèvi Zòrye
Anba Latcha
Aswè an M' Pa P' Dòmi
Yas, Manman

Grenn Zaboka, Sèvi Zòrye
Anba Latcha
Aswè an M’ Pa P' Dòmi
Yas, Manman

Chez le Hougan, Ça avait été une nuit merveilleuse au début. Un bon samedi soir. Les tambours roulaient comme du Tonnerre, Le Gwòg prenait Chair, et on en avait déjà invoqué bien des Loas, des Guédés, et Des Bizangos. Autour du PotoMitan se trouvait les attributs des esprits qui permettaient la communication entre le monde des vivants et celui du dieu inaccessible.  Mais ce n'était que quand les chwal se faisaient seller, que commençait le vrai spectacle. Mant Gogo qui assaisonnait son peau devant de konfi, Boss Ti Pierre qui mangeait une bouteille comme si c'était du Papita, sans oublier Anaïse qui s'était mise à danser dans le feu. Je savais déjà que Dieusilòm n'était pas Piti, Mais cette nuit-là, les nombres de Djab qui voulaient boire un coup de Tafia sous ses tonnelles faisaient la queue.
Chaque fois que j'allais chez Dieusilòm, c’était la même histoire. Des tambours, des Assons, des Loas, des Guédés, de La Danse, du Chwal Sellé, et toute la panoplie. Mais par-dessus tout: Du Kleren. Du bon venant de Saint-Michel de l’Attalaye. Et cette nuit-là, le Kleren me remontait à la tête et j'avais l'impression qu'il voulait ressortir par tous mes trous: La bouche, Le nez, Les oreilles, les yeux et même le trou du cul.
Les serviteurs tenaient le tche de leur robe et tournoyaient à en perdre la tête quand brip sou kou les tambourineurs cassèrent le son, un coup sec dans le dengwonn d'un rythme Petro. Un silence s'en est suivi. Il n'y eut que les respirations saccadées, les sueurs qui dégoulinaient, les vapeurs de kleren qui sortaient par le nez de ceux qui n'osaient ouvrir la bouche sur risque de perdre connaissance. Un Tambourineur lança alors un rythme Rada, doux et calme. Et soudain le Hougan l’accompagna d’une voix en extase:

Damballah Wèdo Se Bon, Se Bon
Ayida Wèdo Se Bon, Se Bon
Lò Ma Sele Chwal Mwen
Gen Moun Ka Kriye
Lò Ma Monte Chwal Mwen
Gen Moun Ka Rele

Il avait fallu que le Hougan chante cette chanson, ce jour-là.
Ah ! Ayida, ma douce Ayida, pourquoi avoir volé mon cœur ? Toi, bèl Nègès pi bèl ke reyon Lalinn, pourquoi avoir volé mon cœur? Pourquoi je ne suis plus Sele par ton esprit, moi ton Chwal servant?
Je tanguais sur la route, culbutant sur chaque pierre. J’étais saoul tel un  pipirit. Je marchais, laissant mon corps à la merci de mes pieds et mon âme aux grés du vent. Et dans ma tête roulait encore et encore cette chanson à Ayida et son Nèg de Damballah:

Grenn Zaboka, Sèvi Zòrye

Anba Latcha

Aswè an M' Pa P' Dòmi

Yas, Manman

Damballah Wèdo Se Bon, Se Bon

Ayida Wèdo Se Bon, Se Bon

Lò Ma Sele Chwal Mwen

Gen Moun Ka Kriye

Lò Ma Monte Chwal Mwen

Gen Moun Ka Rele

Je savais que je devais rentrer chez moi. Et c’est ce que j’avais fait après m’être trompé de route à plusieurs reprises.

Cette nuit-là, c’était la première fois que le Lwa-Rasin* de mes ancêtres avait dansé dans ma tête, c’était aussi la première fois que je rencontrai notre Loa familial : Ayida Wedo. Loa que servaient tous les hommes, premier né, de la famille et qui nous apportait chance, bonheur, argent et prospérité. Comme la coutume le demandait dans la famille, mon Père devait faire danser le Lwa-Rasin dans ma tête la nuit de mes vingt-trois ans. Cette Nuit. Je suis rentré en lui disant que j’étais prêt.
On se tenait dans la rivière, dans le dos de la maison. Moi à genou, nu, mon Père debout, une main sur ma tête et l’autre tenant sa bouteille de Kleren enveloppé dans son mouchwa blan, couleur des Loas Rada. Il psalmodiait des prières et buvait un coup à intervalle régulier. Plusieurs minutes passèrent avant que mon Père n’entra en transe. J’ai senti sa main se resserrer sur ma tête. Tout son corps tremblait, recouvrit de ce halo blanc qui l’entourait à chaque fois qu’il se faisait Sele. Puis, Je l’ai vu. Et mon cœur avait chaviré.
Ayida-Wedo. La Déesse Lwa du ciel. Chevauchant une couleuvre arc-en-ciel*.

Ayida Wèdo Se Bon, Se Bon

Lò Ma Sele Chwal Mwen

Gen Moun Ka Kriye

Lò Ma Monte Chwal Mwen

Gen Moun Ka Rele

Elle descendait de la rivière. Le visage découpé dans une parcelle de Pleine Lune. Ses yeux étaient de ce tendre bleu de ciel sans nuages. Sa beauté rayonnait de ce halo jaune pâle presque blanc qui recouvrait ces fidèles. Sur sa tête une couronne de nuages. Son corps était si fin et si svelte, elle n’avait rien à envier à la bête qu’elle chevauchait.

Elle s’était arrêtée à notre hauteur, de l’autre côté de la rivière, et descendit de sa couleuvre. Elle était nue. Et mon cœur, cette fois-ci, avait fait naufrage. Sa peau luisait comme l’arc-en-ciel, ses tete doubout pointaient vers moi, ses jambes étaient fines et gracieuses, et elle avançait sur l’eau avec autant de souplesse qu’une couleuvre.

Elle m’avait pris la main et me mit debout. La belle Ayida s’était calée contre moi, m’embrassa, me caressa jusqu'à me faire bander. Et pour la première fois de ma vie, le Lwa-Rasin m’avait sele. Sous les yeux de mon Père. Avec la souplesse de l’eau d’un ruisseau, elle se déhanchait, elle bougeait avec tant de souplesse, que j’ai senti mes yeux sortir de leur trou. Elle chanta à mon oreille, des chants égarés des les crue des rivières, me promettant, richesse et bonheur, si je voulais rester son Chwal à vie. Je n’ai pas hésité à répondre. Oui.
Et pourtant, cette nuit-là, pour la première fois depuis des générations que ma famille serve le Loa, Damballah est apparu pendant la cérémonie. Il m’arracha Ayida du corps, et avec Elle une partie de mon âme.  Je n’ai jamais su comment c’est arrivé. Et je n’ai jamais revu mon Vieux. Lorsque j’ai repris connaissance j’étais planté au bord de la rivière, et mon Père n’était pas là. Je me sentais tout dur et tout rigide. J’ai juré de ne jamais regarder mon corps, sous risque de voir que je ne pourrai jamais plaire à Ayida. Je scrute la rivière avec espoir de la voir ressurgir. Je sens l’eau de la rivière passer par mes pieds, chaque jour, pour se rependre dans mon cerveau. Et avec, cette eau, la voix d’Ayida qui me dit de ne pas désespérer.

Depuis cette nuit, j’ai juré de rester là à attendre qu’elle réapparaisse.
Ayida mon Lwa-Rasin. »
Comme j’ai l’habitude de le dire, il n’était pas plus tard que ça, et il faisait chaud. Je voulais juste sortir pour prendre du frechè, aller admirer les étoiles, comme à mes habitudes. Je me disais que peut-être un jour, par simple hasard, je verrais Le Dieu du Ciel dans une partie de jambes en l'air avec la Vierge Marie. Mes pas me menèrent vers ce Cocotier au bord de la rivière, derrière la vieille maison de ce fou d’Ulysse, qui depuis hier, cherche son Fils partout dans la ville.

Et telle est l’histoire que m’a contée le Cocotier qui m’a dit être le petit Frantz Ulysse, termina Curtis Hassan.




Daméus Léon Jeff-Hersan Tiger




Lwa-Rasin : Lwa Racine, L’esprit familial hérité d’un parent.
Couleuvre arc-en-ciel : Symbole d’Ayida-Wedo

À l'Ombre d'Une Pergola Tome 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant