Sérénité

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Il y avait de ces questions qu’elle ne posait plus depuis longtemps. Les « et si ? » les « pourquoi ? » les « à quoi bon ». Non ; elle ne se questionnait plus. Elle ne cherchait plus à comprendre. Elle ne désirait plus non plus. Cela ne servait à rien de toute façon. Le monde continuerait de tourner, le temps d’avancer et le destin de se produire quoi qu’on pense pouvoir faire. Qu’importe qu’on souhaite, qu’importe qu’on aime. L’on finit toujours par souffrir. Tout cela ne servait à rien. Alors elle ne voulait plus. Elle ne rêvait plus. Elle n’essayait plus. Elle n’aimait plus.

Son monde n’avait pas toujours été si terne. Avant, elle riait, elle courait, elle voltigeait comme un papillon, goutant tour à tour à toutes les merveilles du monde. Elle peignait, chantait, dansait. On la trouvait irréelle, intouchable. Elle avait tant aimé, elle avait tant désiré. Elle avait cru au lendemain, à la beauté de l’inconnu jusqu’à ce jour. Si lointain, si sombre. Elle avait été brisée, ses ailes lui avaient été arrachées, elle avait pleuré toutes les larmes qu’elle ignorait posséder. Elle avait questionné : « pourquoi elle ? Pourquoi eux ? ». Elle avait supplié, priée toute les divinités qu’elle connaissait. Elle n’obtint jamais de réponse.
Des lors, le monde perdit ses couleurs. Ses larmes tarirent. Son âme s’éteignit. Elle ne croyait plus en rien. Ne se battait plus pour personne. Elle ne ressentait plus rien. Elle avait fini par oublier ce que cela faisait de rire, de pleurer, d’aimer… de vivre. Elle n’était plus heureuse. Mais elle ne connaissait non plus le chagrin. Elle n’essayait même plus. Elle laissait faire le monde. Elle laissait aller les choses. Elle laissait les autres décider à sa place. Tout la fatiguait. Vivre la fatiguait. Mais, pour elle, essayer de mourir la fatiguerait encore plus alors elle survivait. Tout ressemblait à une perte de temps à ses yeux désormais vides. On la trouvait encore irréelle et intouchable, cependant elle ressemblait désormais à une ombre ayant perdu son propriétaire. Un fantôme qui errait dans le monde des vivants. Elle était vide. Mais à quoi pouvait-on s’attendre d’une enfant perdant ses parents, ses amis, sa vie en un jour ? De la seule survivante d’un malheureux accident ? Le jour de ses huit ans le monde, son monde avait basculé.
Jusqu’à ce qu’elle le rencontre. Il était tout ce qu’elle n’était pas – tout ce qu’elle ne savait plus être – il était si vivant. Si sensible. Si beau. Et si effrayant.
Ce fut la première impression qu’elle eut de lui. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait senti son cœur battre. Qu’elle ne s’était énervée. Qu’elle n’avait ressenti. Il la faisait devenir contradictoire. Elle avait peur car elle ne voulait pas vouloir. Elle ne voulait pas ressentir. Elle ne voulait pas…
Si cela continuait, elle allait s’attacher à lui, elle allait l’aimer, elle allait s’ouvrir au monde, elle allait ressentir… Elle allait le perdre... Et elle allait souffrir... Pour la première fois depuis des années, toute son âme fut ébranlée. NON!  Elle ne pourrait pas. Pas une autre fois. Elle en mourrait.

« Mais, petit papillon, le mal est déjà fait. Tu le vis à nouveau. »
Tout avait commencé à leur rencontre. Ils avaient été placés côte à côte et il s’était présenté. Pendant toute la durée de la session, il l’avait complimentée ; n’obtenant d’elle qu’un « Ah ! »  Sans vie. Il l’avait suivie tout le reste de la journée, faisant la conversation pour eux deux, alors qu’elle ne l’écoutait même pas. Le soir venu, il était parti lui promettant de revenir tous les jours. Ce à quoi elle avait répondu : « ne fait pas de promesses que tu n’es pas sûr de tenir ». Il avait ri. A croire qu’il riait de tout, lui.
D’après les adultes, il serait son jumeau. Ils avaient été séparés à la naissance. « N’as-tu jamais ressenti ce vide en toi ? Ce manque de quelqu’un sans savoir qui ? » C’est cela qu’il lui avait demandé. « Pauvre idiot. Tous les jours depuis dix ans. Mais je sais qui me manque. Je sais pourquoi ils ne sont pas là. Alors qu’ils avaient promis de me revenir. Je sais qu’ils m’ont menti. Mais le monde est comme ça. Il n’y a qu’à l’accepter. C’est comme ça qu’on guérit. » Elle avait hurlé ces mots dans sa tête. Elle se sentait bouillir. Mais elle resta impassible. Elle lui avait simplement dit : « non, Jamais ! » Mais lui, comme s’il avait tout entendu, il lui dit « mais ton cœur n’est pas guéri. » et pour la première fois depuis des années, elle avait pleuré. Elle s’était laissé étreindre.
Elle l’avait évité durant de nombreux jours. Elle avait réfléchi. Elle avait enfin parlé lors de sa rencontre avec la spécialiste. Elle lui avait tout dit. La quarantenaire avait souri et lui avait conseillé de laisser venir les émotions, de laisser une chance à ce jumeau troublant, de le laisser lui réapprendre la vie. Elle avait accepté. Le lendemain, elle lui avait demandé « comment c’est d’être vivant ? » il avait ri : « je vais te montrer ».

Il avait fait les démarches. Il s’était disputé contre le directeur du centre, il avait obtenu le soutien de la spécialiste. Il l’avait emmenée à la mer, en montagne. Il lui avait fait découvrir les joies du sucre, l’amertume du café, la douceur du chocolat. Il l’avait emmenée à une parfumerie ; elle avait redécouvert les odeurs. Elle s’était tatouée, elle recommençait à peindre, elle revoyait les couleurs. Elle souriait et riait. Mais elle ne pleurait pas. Elle ne parlait pas d’avant. Elle n’était pas guérie.
Un après-midi ou ils se reposaient ensemble sur le balcon regardant le ciel, imaginant les étoiles, elle lui chuchota : « emmène-moi les voir ». Là-bas, elle déposât une fleur sur chacune des tombes et murmura des mots, qu’il n’écouta pas. Il savait qu’elle revivait leur mort, mais surtout leurs vies. Elle se rappelait enfin tout ce qu’elle avait vécu avec eux, tout le bonheur qu’ils lui avaient apporté. Et elle pleura sans s’arrêter. Elle leur demanda pardon. Pardon de les avoir oubliés, pardon de ne pas être venue durant toutes ces années. Elle voulait leur dire plein de choses encore. Mais au final, elle ne fit que répéter ce qu’elle avait enfoui toutes ces années : « je vous aime ». Il la laissa pleurer. Il pleura avec elle. Mais lui, de joie. Car elle allait enfin guérir.

Deux ans plus tard elle suivait des cours à l’université d’art. Elle excellait dans la peinture et la photographie et était qualifiée de prodige. Elle obtint son diplôme avec mention et travailla pour les plus grandes compagnies. Il était toujours là, a ses cotés lors des pires moments, des échecs et des rechutes. Quand elle lui demandait s’il ne se fatiguait pas d’elle, il lui répondait : « impossible. Tu es moi et je suis toi ». Quand elle se maria, il fut son garçon d’honneur, quand il eut sa première fille, elle en fut la marraine. Et quand il fut emporté par la maladie, elle chanta à ses funérailles. Mais elle ne rechuta pas. Il l’avait guérie, comme le penicillium, inattendu pourtant si important.
L’univers s’était mis en place pour eux. Il avait été l’instrument de son bonheur. Il était arrivé dans sa vie, si brusquement, pour partir si soudainement. Il avait enlevé toute amertume d’elle. Leur histoire était inscrite dans leur ADN, les jours du printemps étaient revenus. Il était sa Sérendipité.










Déborah Bérénice Passé

À l'Ombre d'Une Pergola Tome 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant