Fantôme

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J'entends des pas, mais ça me semble sourd. J'suis toujours au sol et j'sens Maxime qui à l'air un peu triste. J'sais pas trop pourquoi mais ça me rend triste aussi. Puis j'sens qu'le sol il est froid et que mon corps il est chaud alors ça fait comme un choc électrique dans ma tête et j'ai un espèce de spasme d'un coup. J'crois que ça fait un sacré choque à Maxime parce que il se recule, presque effrayé, comme si il avait vu un fantôme. Mais c'est juste moi.
En fait, si, il a bien vu un fantôme du coup.

C'est triste d'être un fantôme. Un fantôme c'est pas juste quelqu'un sous un drap avec deux trous pour les yeux, c'est pas juste une ombre, ou une silhouette ou que-sais-je qui est sensé être effrayant.. Un fantôme c'est quelqu'un qui n'a plus de rapports à l'autre, qui n'a plus de sentiments, qui n'a plus rien que cette sensation de vide infirme, c'est pour ça qu'en général un fantôme c'est quelqu'un de décédé. Moi j'pense que les fantômes ils se cachent parce que ils ont peur de leur sentiments et d'aimer. J'pense que j'suis un fantôme. J'aimerais être un fantôme. Parce que souvent les fantômes ils sont morts. Mais moi j'suis pas mort, mais Cyril il est mort. J'aimerais bien rejoindre Cyril mais y a Maxime qui serait triste et je veux pas qu'il devienne un fantôme comme moi. Ou alors on serait trois fantômes et on serait trois morts et ça pourrait être marrant mais ça me fait flipper de mourir quand même. Parce que pour autant, si je me sens vide, j'suis quand même un lâche. Alors j'préfère que la mort vienne à moi plutôt que l'inverse.

J'vivrais ma vie misérable, dans un passé trop ancien, une époque dont je ne me souviendrai plus. Si bien que j'en oublierais la mort de Cyril, si bien que lorsque ce sera à mon tour de partir, je ne sentirai rien. Je ne verrais rien. Si bien que je ne saurais plus voir  quelles sont les choses que j'ai vécu  et celles que j'ai inventées. Je veux vivre avec le souvenir de Cyril pour que lors de les retrouvailles quelque part là haut se passent comme si je l'avais quitté la veille.
Je veux vivre avec le souvenir d'un Cyril heureux plutôt que mourir en me souvenant qu'il était malheureux. Alors vaut mieux que je devienne fou et que je me persuade de ce genre de choses. Enfin je crois, je ne sais pas.

J'entends Maxime qui m'appelle. Ça me casse les oreilles, il est chiant. Laisse moi tranquille Maxime. Laisse moi avec le souvenir de Cyril, laisse moi planifier mon avenir invraisemblable avec mon copain qui s'est suicidé à cause de moi. Laisse moi croire que je serais heureux.
Laisse moi tranquille Maxime. Laisse moi fermer les yeux et retrouver mon rouquin favori. Laisse moi, et si tu veux te rendre utile, rend moi ma foutue bouteille de vodka. Donne moi un truc qui m'aidera à imaginer quelque chose de bien meilleure que cette foutue réalité dans laquelle j'ai assassiné tout c'que j'avais.
Laisse moi ne plus être le meurtrier de mon amoureux.

"-Arrête de me secouer je suis bien là.."

J'prononce ces mots un peu sans le vouloir, et pourtant ça ne change rien, au contraire, je sens deux mains venir attraper mon t-shirt et me tirer vers l'avant. J'me lève parce que mes jambes le font automatiquement.
J'ouvre les yeux pour croiser ceux de Maxime.
Il est pas content. Dommage.

"-Qu'est ce que tu fais ?

-Qu'est ce que je fais quoi ?

-Là, allongé par terre comme un con ?

-J'suis tombé.

-Pourquoi t'es tombé ?

-Parce que je suis bourré.

-Et pourquoi ?

-J'ai trinqué avec Cyril et mes futurs faux-souvenirs.

-Pourquoi faire ?

-Pour ne pas me laisser mourir.

-Si tu bois pour ne pas mourir tu vas mourir vite.

-Cool alors."

Il ne me lâche pas, tenant toujours mon t-shirt. Il me défie du regard, j'ai la tête baissée vers lui. Il fait la même taille que Cyril.

"-Non c'est pas cool.

-Bah, moi je trouve parce que-

-Parce que j'ai pas assez perdu avec Cyril tu penses ? Tu penses que.. Qu'est ce que tu penses en fait ?

-Que j'ai mal et que toi aussi tu as mal.. Et que, c'est pas agréable."

Il me regarde, il hausse les sourcils mais finit par me lâcher. Il doit penser que j'ai raison.

"-C'est pas une raison pour mourir.

-Non mais mourir c'est une solution pour abréger les souffrances et puis-

-FERME LÀ !"

Il reviens pour saisir le col de mon t-shirt, étonnament, avec sa force, il pourrait me décoller du sol. Mais il est trop petit, alors il se contente de me plaquer contre le mur derrière moi. Ses yeux sont noirs de haine. Et j'pense que j'ai dis quelque chose qui l'a profondément blessé. Parce que il s'énerve jamais, mais peut-être que j'ai trop joué avec ses nerfs pour aujourd'hui..

"-Arrête Valentin. Arrête de dire n'importe quoi putain mais tu te rends compte ? Tu penses pas qu'on a assez perdu tout les deux ? Pourquoi tu dis ça ? Pourquoi tu parles de la mort comme d'une amie alors qu'elle t'a pris Cyril ? Qu'elle nous a pris Cyril ? Putain mais écoute toi parler ! Tu ne veux pas mourir t'es juste profondément touché, et profondément stupide aussi pour oser dire de telles choses et.. Putain mais regarde dans quel état tu es.. T'es.. T'es.."

Il ne termine pas sa phrase mais ses mots sont pensés si fort que je les lis dans ses yeux.
Pathétique.

Je suis pathétique.

Il me lâche et je me laisse glisser contre le sol. Pourtant, et alors que je pensais qu'il allait partir, abandonnant ici parce qu'il en a marre de s'occuper de moi, il vient s'asseoir à côté de moi.

"-Maintenant, l'important Valentin, c'est qu'on se soutienne ensemble. ENSEMBLE. Alors connard quand ça va pas, tu m'appelle !"

Je souris, un peu, parce que je l'entend dire cette phrase qui ne fait pas du tout ressortir son côté bon gendre ; "pour qu'au moins on se bourre la gueule à deux."

Je vois au coin de ses yeux, des larmes qui menacent de s'échapper alors, je passe mon bras derrière lui afin de le rapprocher de moi.


Et je crois qu'on s'est endormi comme ça.

HurtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant