Chapitre 64

15 4 0
                                    

64

Fureur



Ils me dévisagent. C'est d'habitude par curiosité, par méfiance ou par dégoût. Aujourd'hui, dans leurs yeux, c'est de la surprise, de la peur, de la pitié.

Mark voulait que je reste à la maison au moins une semaine. J'ai refusé : j'ai raté assez de cours comme ça et... je dois assumer ce qui m'est arrivé. Je dois montrer à ces lycéens qui me craignent sans me connaître que l'on m'a fait subir ça.

J'avance en grimaçant, mes côtes protestant à chaque pas. Mon visage est encore gonflé et coloré de bleu, rouge, violet, noir. Des murmures sautent à mon passage dans les couloirs. Je suis las des commérages, je ne veux simplement plus cacher le harcèlement qui erre dans ce lycée. Oui, il est privé, avec des profs compétents, des élèves aux profils divers et variés, des scores élevés. Mais que dire des monstres déguisés qui rôdent dans ses couloirs ?


J'ai laissé quand même passer trois jours avant de retourner au lycée. Les jumeaux et Lily Rose m'ont harcelé de messages dès le lundi en constatant mon absence. Je leur ai dit que j'étais tombé malade. Je ne compte pas leur cacher ce qui m'est arrivé, mais je voulais au moins les rassurer pendant que je n'étais pas là.

L'appréhension me compresse la poitrine lorsque j'aperçois Lily Rose près de mon casier. Elle guette visiblement mon arrivée. Au moment où son regard tombe sur moi, je vois son visage s'illuminer. Puis ses yeux s'assombrissent et ses traits se crispent d'effroi.

Salut, Lily, ça va ? Bon week-end ? Mon visage ? T'inquiète, rien de grave.

Décidément, je ne peux pas y aller comme ça.

Elle est blanche comme un linge lorsque je m'arrête près d'elle. En silence, elle détaille mon visage meurtri. Elle sait. Elle comprend. Elle met les pièces du puzzle en place.

Un éclair de colère s'allume dans ses yeux verts. Ses traits si doux, si charmants, se froissent comme du papier et elle pince sévèrement les lèvres. Elle me fait penser à Sofia.

– Ils vont payer.

Sa voix est terriblement rauque.

Soudain, les larmes me montent aux yeux. Pris au dépourvu, je me tourne et ouvre mon casier précipitamment. Mes mains tremblent et j'essuie rageusement les gouttes fourbes qui envahissent mes joues. Je me déteste.

– Zach ? (La main de Lily Rose se pose sur mon bras.) Zach...

Des sanglots secs et silencieux secouent mes épaules. Mes lèvres obstinément pincées refusent de laisser sortir la vérité. J'inspire un souffle tremblant, agrippe nerveusement la porte de mon casier. J'ai envie de disparaître, d'être un gamin qui peut chialer impunément. Mais c'est la poisse de sangloter au lycée à dix-sept ans.

Avec une respiration hachée, j'essaie de reprendre le contrôle de mes nerfs. Le visage entre les mains, j'exécute trois longues inspirations avant d'expirer mes dernières larmes.

OK, c'est bon. Tout va bien.

Non, merde, j'suis mort de trouille. Je veux pas qu'ils me trouvent. Ils vont me faire mal. Ils vont me tuer, ces malades. Ces démons.

La tête blonde de Lily Rose se glisse sous mon bras et elle enlace délicatement mon torse – comme si elle avait compris pour mes côtes douloureuses.

Elle ne dit rien. Je lui en suis reconnaissant.

À mon tour, je la serre contre moi et plonge le nez dans ses cheveux. Ils sentent bon l'été. Ils sentent la jeune fille des voisins, celle qui m'adressait de timides sourires lorsque j'étais encore en béquilles. L'adolescente joviale, tendre et attentionnée, qui a accepté de discuter avec moi, de me regarder dans les yeux – alors que j'étais un meurtrier – et de m'accorder du temps. Je me rappelle la première fois qu'elle a glissé sa main dans la mienne, l'air très sérieux, et qu'elle a soufflé « T'es pas un monstre. »

The Debt [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant