SCÈNE 5

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MÖRDERLE PSY.

Bar. Une table et deux chaises. Soirée. Mörder en tenue punk et son psy en costard-cravate s'installent avec des boissons.

LE PSY. Allons-y, Mörder, je vous écoute. Racontez-moi.

MÖRDER. Franchement, je comprends pas, docteur, expliquez-moi ! Ça m'obsède ! Je n'arrête pas de penser à cette fille, et pourtant, je ne la connais pas !

LEPSY. Vous ne la connaissez pas ? C'est-à-dire?

MÖRDER. Je l'ai rencontrée une fois. Pendant une sortie scolaire. Je connais juste son prénom, et je sais à quoi elle ressemble. Elle est belle. Elle est vraiment très belle. Elle m'obsède, docteur, je n'arrive pas à me la sortir de la tête. Je ne comprends pas. Je ne la fréquente pas, je ne connais pas son caractère, on n'est même pas dans la même classe. Et pourtant... Je crois que je l'aime. En fait non. Je ne l'aime pas. Elle m'énerve. Elle ne veut pas me voir. Quand on se croise dans les couloirs, c'est comme si elle ne m'avait jamais vu.

LE PSY. Peut-être que vous pourriez aller l'aborder,non ? Lui demander comment elle va, si elle se souvient de vous, que vous vous êtes rencontrés à une sortie scolaire, tout ça ?

MÖRDER. Je ne peux pas, docteur. Elle va m'ignorer. Elle va me trouver bizarre. Ou alors, elle va être gentille avec moi, mais on n'aura rien d'autre à se dire, il y aura des blancs, ça va être gênant. J'ai envie de l'embrasser ! Mais je crois qu'elle est déjà avec quelqu'un. Je l'aime, docteur. Je veux apprendre à la connaître, mais, en même temps, je n'ai pas envie d'apprendre à la connaître. Parce que j'ai peur d'être déçu. J'ai peur qu'elle ne corresponde pas à l'image que je me fais d'elle, cette image floue et imprécise. En fait, si j'apprenais à la connaître, ça gâcherait l'image que j'ai d'elle.Je préfère me dire que je l'aime, mais que je ne la connaîtrai jamais. Je la trouve juste belle. Elle a une apparence particulière. J'aime bien ses cheveux, je crois.

LE PSY. Ses cheveux ?

MÖRDER. Oui, oui. Elle a les cheveux teints. J'aime bien. Elle aime le metal. Et moi, j'aime bien ça aussi. Beaucoup, même.

LE PSY. Pourquoi vous dites qu'elle vous trouverait bizarre ? Qu'est-ce qui serait bizarre dans le fait d'avoir eu un coup de foudre une fois pour quelqu'un mais de ne pas oser aller lui parler ?

MÖRDER. Je ne sais pas ce qui me plaît chez elle, docteur ! Ses cheveux ! J'aime juste ses cheveux ! Je connais son prénom, mais je ne connais pas son nom de famille. J'ai cette obsession au fond de moi qu'un jour, je découvrirai son nom de famille. Comme ça, je la chercherai sur Facebook.

J'ai déjà essayé de la chercher sur Facebook, docteur, mais juste avec son prénom, c'était pas assez, j'ai rien trouvé ! Je suis désespéré, docteur ! Je veux juste la voir ! De loin, sans qu'elle me voie, sans qu'elle s'aperçoive que je suis en train de l'observer ! Je veux revoir ses cheveux ! Je veux chercher son nom sur Facebook, je veux juste avoir une photo d'elle. Une photo d'elle,où elle a ses cheveux teints comme maintenant, que je rangerais précieusement dans un dossier secret sur mon ordinateur, et que je regarderais quand j'en aurais envie.

Je ne ferais pas de trucs bizarres dessus. Juste, je la regarderais. Je regarderais ses cheveux, et je me dirais : « Qu'est-ce qu'elle est belle ! » Et voilà. C'est tout. Je veux juste une photo d'elle, l'avoir toujours dans la tête, voir à quoi elle ressemble, parce qu'elle est belle. Je ne lui ferai jamais de mal, je ne l'embêterai pas, je ne l'espionnerai pas, je ne chercherai même pas à connaître les détails de sa vie. Je ne chercherai pas à la connaître. Ça ne m'intéresse pas.

Si un jour elle fait le premier pas, je voudrais bien devenir son ami, mais je ne peux pas faire le premier pas. Je suis trop timide. Je veux juste une photo d'elle, comme ça quand elle sortira de ma vie, ou quand elle changera de style, quand elle se teindra les cheveux d'une autre couleur, au moins je pourrais toujours voir à quoi elle ressemblait à cette époque. C'est tout.

Le psy hoche la tête d'un air absent : il est en train de dessiner sur son calepin. Il a dessiné un portrait de la fille dont Mörder était en train de parler. Il montre son dessin au public, enlève la feuille de son calepin et la tend à Mörder.

MÖRDER. Oh, docteur, je... c'est elle ?

LE PSY. Oui. Tenez, la voilà votre photo. Gardez-la toujours avec vous, et serrez-la contre votre cœur quand vous en aurez besoin. Aimez-la tendrement et discrètement. Elle s'appelle Fatalité.

MÖRDER. Docteur, elle ne s'appelle pas Fatalité...

LE PSY. Tant pis, alors. Celle-là s'appellera Fatalité.

MÖRDER. Merci beaucoup, docteur...

Ils tchinent et finissent leurs boissons ensemble. Ils s'en vont en laissant leurs verres sur la table. Le psy a aussi laissé son calepin et ses crayons. Noir de transition.

DYSTOPIAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant