PROLOGUE

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L'HOMME EN FEU ET AUX MAINS DE PIERRE.

Les lumières s'allument et la pièce s'ouvre alors qu'on termine d'installer les décors de la première scène. Un homme en feu et aux mains de pierre se tient à l'avant-scène. Il est séduisant, mais déchu, semblant ressortir des bouches de l'Enfer.

L'HOMME EN FEU ET AUX MAINS DE PIERRE. Comme moi, tous ceux qui manipuleront les autres, feront preuve de perversité ou de cynisme au cours de cette pièce seront punis. Ce ne sera peut-être pas aussi artistique qu'un clip de Maryline Manson, ni aussi happant que la mise en scène deThyeste par Thomas Jolly, ni aussi magnifique que la description du noyé dans Thérèse Raquin, mais préparez-vous tout-de-même à voir quelque-chose que vous n'avez encore jamais vu. Des décors simples, des effets simples. Un jeu complexe et détaillé. Des répliques sans queue ni tête qui, tel une encyclopédie, foisonnent pourtant de sens et de savoir.

Des jeux de mots absurdes, si stupides qu'ils en deviennent redoutablement intelligents. Des références par milliers. Une poignée de sadisme. Un zeste d'orgueil de la part d'un jeune dramaturge encore inconnu du grand public, qui écrit enfermé dans sa chambre, en écoutant du metal et autres musiques obscures. L'usage abusif et déraisonnable de l'humour noir. Un puissant élan de modernité ponctué d'admiration pour le classique. De l'absurde. Du fantastique. De l'impossible. Du surréalisme. Et du tragique, aussi. Beaucoup de tragique. Le Game of Thrones du théâtre.

Du sadomasochisme presque assumé. Des cauchemars insensés, sortis d'un esprit étrange et dérangé, rongé par les vers de la passion de l'art, des cauchemars insensés fourmillant de sens. De la poésie dramaturgique, descendante directe du naturalisme de Zola et du spleen baudelairien. Admiratrice des idées perchées de Roger Vitrac et de l'écriture spontanée de Joël Pommerat. La Mort fourmillant de Vie. Un poison thérapeutique. Une pensée noire et cynique, sarcastique et anarchiste, autour de la société et des êtres humains. Après tout, quoi de plus horrible qu'un être humain, et d'autant plus un être humain qui a inventé des choses pareilles pour dénoncer les autres êtres humains ?

Au public   Qui d'entre vous par ici est sensible ? N'ayez pas honte, le dramaturge qui a écrit cette horreur scandaleuse est un hypersensible. Et bonne part des comédiens doivent l'être aussi, d'ailleurs. Au moins plus ou moins. C'est une bonne chose que d'être sensible ; mieux vaut pour vous prendre en compte les sentiments des autres plutôt que briser cœurs après cœurs comme je me suis amusé à le faire. Néanmoins, si votre sensibilité vous empêche de supporter des œuvres polémiques, je vous conseille de quitter la salle avant qu'il ne soit trop tard et que vous soyez embrigadés dans la spirale infernale.

En fais-je trop ? Je n'en suis même pas sûr. Mais je peux vous conduire avec moi pour vous mettre en sécurité de cette création putride ; nous descendrons ensemble jusqu'aux bouches des Enfers où une divine statue me condamna, voulez-vous ? Pour les téméraires et les hardis, ayez les tripes bien accrochées. Pour les violeurs et les assassins, préparez-vous à recevoir un cours magistral et réfléchissez à deux fois avant d'agir. Pour les machiavéliques et les sadiques, n'hésitez pas à jouir de l'intelligence et des sous-entendus omniprésents dans la pièce.

N'hésitez pas à rire lorsque vous en avez envie, même lorsque le reste du public a le visage blanc comme celui d'un cadavre, et même lorsque ce n'est pas censé être drôle. Riez ou pleurez, jouissez ou vomissez, adorez ou détestez, mais restez attentifs à tout. Car tout, ici, la moindre réplique, la moindre scène, peut faire référence aux plus illustres, tout ici est leçon psychiatrique, ou reflet de votre subconscient.

Toutes les lumières s'éteignent, hormis les flammes qui brûlent sur l'homme en feu et aux mains de pierre.

L'HOMME EN FEU ET AUX MAINS DE PIERRE. Je m'en retourne,désespéré, dans l'Enfer où je suis condamné à brûler pour l'éternité et à ne plus jamais avoir le droit de toucher à une femme, et vous souhaite de passer un agréable ou un détestable spectacle. Sweet Dreams.

L'homme en feu et aux mains de pierre s'éteint à son tour. Noir de transition.

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