SCÈNE 7

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PANSYTIFFANYROYALINELE PORTRAIT DE PANSY, LE GARÇON TACITURNE ET INQUIÉTANT.

Table, une seule chaise. Lumière rose. Petit miroir posé sur la table. Pansy est assis sur la chaise et contemple son reflet. Le psy est un peu en retrait, près des coulisses, et il dessine Pansy sur son calepin.

PANSY. Je suis tellement un beau garçon ! Oh, regardez-moi ça ! Gouzi gouzi... T'es beau, Pansy ! T'es tellement joli ! Regardez-moi ça ! Il fait toute une succession de gestes stupides et superficiels devant son reflet. Mes beaux yeux ! Mes beaux cheveux ! Mes beaux poignets ! Mon beau menton ! Mon beau sourire ! Mon beau front ! Mon beau nez ! Mes belles oreilles ! Mon beau philtrum ! Je suis jeune et beau, imberbe et frais ! Je suis beau !

Pendant qu'il parlait, Tiffany et Royaline sont arrivées par derrière en faisant des grands pas de cygogne. Tiffany a remis son masque et Royaline porte une chaise avec elle. Tiffany a des gants et caresse les cheveux de Pansy, pendant que Royaline installe la chaise derrière lui, s'assoit et enroule ses jambes autour de lui.

TIFFANY. Oui, c'est vrai Pansy... tu es si jeune et beau !

ROYALINE. Roar, roar, mon petit Pansy !

TIFFANY. Je n'ai jamais vu un garçon d'une telle beauté, d'ailleurs, tu as complètement raison.

ROYALINE. Roar, roar, mon Pansy chéri !

TIFFANY. Et d'ailleurs, je trouve que ce miroir ne reflète pas assez ta vraie beauté.

ROYALINE. Ohh, mon Pansy bichon caleçon !

PANSY. Quel objet pourrait mieux le faire qu'un miroir ?

Tiffany claque des doigts. Le psy enlève la feuille de son calepin sur laquelle il était en train de dessiner, la donne à Tiffany et s'en va. Tiffany tend la feuille à Pansy.

TIFFANY. Tiens, cet objet le pourrait peut-être.

PANSY. Charmant ! Qu'est-ce que c'est? Oh, mais c'est moi ?

TIFFANY. Ton portrait en personne.

ROYALINE. Mmm, mais t'es beau mon Bitchy !

TIFFANY. tandis que Pansy contemple son portrait   Tu devrais en profiter, Pansy, parce que ça va pas durer.

PANSY. Comment ça ? Quoi ?

Tiffany prend le miroir, le place de l'autre côté de lui et lui tapote l'épaule pour qu'il se regarde dedans.

TIFFANY. Je te parle de ça, Pansy. Ça, ça va pas durer.

PANSY. Moi ?

TIFFANY. Ta beauté. Ça va pas durer, parce que pour le moment tu es tout gentil tout mignon, le plus ingénu de tous les petits garçons, mais quand tu seras un peu plus âgé, peut-être que cette beauté sera entachée par des crimes que tu auras commis.

ROYALINE. en décrochant ses jambes de lui, dégoûtée   Ahh !

PANSY. Des crimes ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Je vais tuer des gens, moi ?

TIFFANY. Peut-être. Et il n'y a pas que ça. Peut-être que le jour où tu perdras ton innocence, quand tu seras devenu un homme mûr, tu iras dans des maisons closes avec de la drogue, de l'alcool et des prostituées.

ROYALINE. en reculant sa chaise de lui, de plus en plus dégoûtée   Ahh !

PANSY. Moi ? Aller voir des prostituées ? Mais, Kiss, je m'appelle Pansy ! Je suis gay, quoi !

TIFFANY. Eh bien, dans ce cas tu iras voir des gigolos, ça reviendrait au même. Mais, ce n'est pas encore ça le pire.

PANSY. Ah bon ? Parce qu'il y a pire ?

TIFFANY. Pire pour saccager ta beauté, oui. N'oublie pas qu'un jour, Pansy, tu seras vieux.

PANSY ET ROYALINE. Quoi ?! PANSY. tout seul   Je vais devenir vieux ?

TIFFANY. Évidemment. Tu auras la peau hypersensible et très fragile, toute ridée, pleine de crevasse, des poches sous les yeux, les lèvres gercées et babillantes, pleines de petites particules, le regard vide et hagard, des plis partout, les membres tremblants, les veines saillantes, et surtout, tu auras une calvitie et des cheveux blancs, Pansy... Tu seras vieux, c'est inévitable.

ROYALINE. en se dressant de la chaise   Ahh !

Elle s'enfuit en coulisses en emportant la chaise avec elle. Pansy fond en larmes.

PANSY. Mais je veux pas ressembler à ça, moi ! J'ai pas envie d'être un monstre ! J'ai pas envie d'être vieux ! Il n'y a pas une solution pour que je ne devienne pas vieux ?

TIFFANY. Malheureusement, la science a déjà fait bien des miracles, mais elle n'est pas encore parvenue à résoudre ce mystère. C'est peut-être mieux pour tout-le-monde, d'ailleurs... c'est plutôt cool d'être vieux, tu sais, même si tu seras moche et tout tremblant quand-même. Y a plein de bons côtés. Imagine : du temps-libre dû à la retraite, des activités pensées spécialement pour toi, des serviteurs sans que ce soit mal vu, une place assise garantie dans le métro...

PANSY. Mais je veux pas ! Je veux pas devenir vieux ! Je veux pas !

Il brandit son portrait devant lui d'une main, le regarde en songeant, et finit par le pointer du doigt.

PANSY. Lui ! Pourquoi est-ce que lui, il pourrait pas devenir vieux à ma place ?

TIFFANY. Mais enfin, mon Bitchy, c'est tout bonnement impossible ! Comment voudrais-tu qu'une vulgaire image prenne les marquages du temps à ta place ? Allez, arrête, tu es ridicule.

Pansy pose son portrait sur la table, se lève et tombe dans les bras de Tiffany. Il sanglote toujours et montre toujours le portrait du doigt.

PANSY. Je veux pas devenir vieux ! Je veux que ce soit lui qui devienne vieux, moi, pas moi ! Comme ça, lui il devient vieux et pervers, mais moi je reste jeune et pur ! Il devient moche, et moi je reste beau ! Voilà, c'est très bien, comme ça !

TIFFANY. Tu ne crois pas qu'il voudrait te demander quelque-chose en échange ? C'est quand-même beaucoup, tout ce que tu souhaite, là.

PANSY. Lui ? Mais ce n'est qu'un portrait !

Un grondement sourd retentit. Les lumières s'éteignent et seule une petite lueur rouge reste. La voix de Pansy, enregistrée, s'élève, et le garçon taciturne et inquiétant arrive sur scène et brandit le portrait devant le public.

VOIX DU PORTRAIT. J'accepte ce que tu me propose, mais à une seule condition ! Fais bien attention à ce que je vais te dire, et écoute-moi bien : je prends les coups du temps à ta place, les hontes du vice à ta place, je prends tout cela à ta place pour que tu restes éternellement jeune et beau, pur et frais, mais, écoute-moi, si un jour toi, ou qui que ce soit d'autre que toi, essaye de t'en prendre à moi, tu le regretteras. Détruis-moi, et je te détruirai ! Déchire-moi, et tu finiras déchiré !

PANSY. D'a... D'accord ! Ça marche ! Marché conclu !

VOIX DU PORTRAIT. Marché conclu.

À partir de ce moment, l'image du portrait s'affiche en grand et reste là. Le garçon taciturne et inquiétant repose la feuille du portrait sur la table et s'enfuit.

TIFFANY. Mon petit Bitchy, je crois que tu viens de commettre une grave erreur...

Noir de transition. Le portait seul reste affiché.

DYSTOPIAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant