LE PORTRAIT DE PANSY, TIFFANY, LE GARÇON TACITURNE ET INQUIÉTANT, PANSY.
Le garçon taciturne et inquiétant est allongé sur le ventre, et il regarde le ver. Tiffany est toujours en train de regarder la feuille qu'elle a entre les mains. Le portrait de Pansy est devenu un tout petit peu moins net. Tiffany lève soudain les yeux de la feuille qu'elle tenait entre les mains.
TIFFANY. au garçon taciturne et inquiétant Qu'est-ce que tu fais ?
Il ne répond pas.
TIFFANY. Qu'est-ce que tu regardes, comme ça ? Le ver momifié ?
Il ne répond pas. Elle regarde de nouveau la feuille pendant une seconde, puis relève la tête.
TIFFANY. Parfait, le système est donc mort et inhumé. Et maintenant, quoi ? Les êtres humains sont libres. Les êtres humains sont libres, mais ils sont incapables de profiter de leur liberté. Parce que même si le système qui les contrôlait a été détruit, ils sont encore rongés de l'intérieur par les vers de leur propre culpabilité. Ils sont toujours aussi cruels, manipulateurs et paranoïaques. Ils torturent leurs congénères, ils les manipulent, ou bien ils ont peur d'eux.
Ils regrettent leurs crimes et leurs erreurs, ils mangent des plats pour se rassurer, ils boivent pour oublier, et ils font l'amour pour se libérer. Il n'y a vraiment que ça qui les libère, on dirait : le sexe. Le sexe entre un homme et une femme. Le sexe entre deux hommes. Le sexe entre deux femmes. Le sexe. Le sexe, le sexe, et encore le sexe. Il n'y a que ça qui les obsède dans la vie, et pourtant, ils ont honte d'en parler. Quel paradoxe. N'importe-qui devrait pouvoir avoir une sexualité sereine, et savoir refouler ses pulsions meurtrières.
Mais la sexualité des humains n'est pas très souvent sereine, et ils ne sont pas très souvent capables de refouler leurs pulsions meurtrières. Ils mêlent le sexe à la guerre. Ils mêlent le sexe à la torture. Ils mêlent la torture à la guerre. Ils torturent leurs congénères. Ils violent leurs congénères. Ils tuent leurs congénères. Et toujours, ils font la guerre. Parce que la société les a embrigadés trop longtemps là-dedans, et qu'ils ne savent plus rien faire d'autre.
Avant, ils faisaient la guerre pour conquérir des territoires. Pour régler des problèmes politiques. Pour se venger. Parce qu'ils étaient incapables de discuter entre eux. De se comprendre entre eux. D'accepter l'autre. Parce qu'ils voulaient sentir l'élan du meurtre les posséder. Parce qu'ils aimaient faire du mal aux autres. Mais maintenant, ils continuent de faire la guerre, parce qu'ils ne savent plus rien faire d'autre, et qu'ils aiment toujours faire du mal aux autres. Faites l'amour, pas la guerre !
En coulisses, un gémissement de Sereine lui répond.
TIFFANY. au garçon taciturne et inquiétant Toi ! Si tu ne veux pas me répondre, ou si tu ne peux pas me répondre, tu vas au moins faire ce que je te demande : débarrasse-nous de ce ver. Termine de l'enterrer dignement, ou brûle-le désinvoltement, ou coupe-le en petits morceaux sadiquement, ou réduis-le en bouillie salement, comme tu préfères. Après, je te donnerai une récompense.
Le garçon taciturne et inquiétant ramasse le ver et se retire en coulisses pour obéir à Tiffany. Celle-ci le regarde faire, avant de baisser de nouveau les yeux sur la feuille qu'elle tient entre les mains. Dans les coulisses, on entend des bruits d'écrasement. Un grognement de Pansy retentit, et du sang se rajoute sur la main de son portrait. On entend ensuite des bruits de couteaux qui découpent quelque-chose. Un cri de Pansy retentit, et du sang se rajoute sur le couteau de son portrait.
On entend des bruits de flammes. Un hurlement déchirant de Pansy retentit, et une marque de brûlure apparaît dans un coin du visage de son portrait, près d'une tache de sang et d'une marque de pourriture. Des bruits de pelles qui frappent contre le sol se font entendre. Un cri de Pansy retentit de nouveau, étouffé cette fois-ci, et un peu de terre apparaît dans sa main et sur le manche du couteau de son portrait. De tout le long, Tiffany n'a pas bronché. Le garçon taciturne et inquiétant revient sur scène, les mains pleines de sang et de terre.
TIFFANY. Ah, te revoilà. Je vois que t'en es bien débarrassé comme il faut. Tiens, voici ta récompense.
Elle lui tend la feuille qu'elle avait dans les mains. Au moment où il la saisit, un grondement sourd retentit, suivi d'un nouveau cri de Pansy. Le garçon taciturne et inquiétant se met à contempler la feuille. Un hurlement hystérique de Pansy retentit. Les lumières s'éteignent brutalement. Il n'y a plus que le portrait de Pansy qui s'affiche, et lorsque les lumières se rallument, très faibles et roses, il devient soudain flou, et on perçoit que Tiffany a remis son masque.
Pansy survient sur scène, un couteau à la main. La faible lumière permet de ne distinguer que son ombre, et on ne voit rien des détails de son visage. Mais à ses gestes et à sa voix, on comprend qu'il est devenu fou. Il pousse encore un hurlement hystérique et se jette sur le garçon taciturne en brandissant son couteau en l'air.
PANSY. RENDS-MOI ÇA ! RENDS-MOI ÇA !
Le garçon taciturne et inquiétant s'est éloigné de lui et se contente de brandir la feuille en l'air, à une hauteur inaccessible à Pansy. Celui-ci tente de l'atteindre pour reprendre son portrait.
PANSY. RENDS-MOI ÇA ! RENDS-MOI ÇA !
Il essaye de transpercer la feuille avec son couteau.
VOIX DU PORTRAIT. Détruis-moi, et je te détruirai ! Déchire-moi, et tu finiras déchiré !
Grondement sourd. On perçoit le sursaut de Tiffany, qui semble comprendre tout-à-coup. Elle se jette sur Pansy.
TIFFANY. Pansy !! Arrête !
PANSY. LÂCHE-MOI ! RENDS-MOI ÇA ! C'EST À MOI ! C'EST MOI !
TIFFANY. Non, ce n'est pas toi ! C'est ton portrait !
PANSY. C'EST MON PORTRAIT ! C'EST À MOI ! RENDS-MOI ÇA !
TIFFANY. Pansy ! Aurais-tu oublié la promesse que tu avais faite ? Le marché que tu avais conclu avec ce portrait ?
PANSY. AU DIABLE, LE PORTRAIT ! QU'IL AILLE AU DIABLE ! C'EST LE DIABLE, CE PORTRAIT ! AU DIABLE !
TIFFANY. Ça ne peut pas être le diable, Pansy. Ce n'est qu'un portrait. Si tu dis ça, ça veut dire que c'est toi, le diable, et personne d'autre. C'est toi qui a commis tous ces crimes, pas lui. Il se contente de les porter sur son visage et te laisse beau et sain à condition que tu ne le détruise pas. Si tu le détruis, tu seras détruit aussi.
VOIX DU PORTRAIT. Détruis-moi, et je te détruirai !
TIFFANY. Si tu le détruis, tu mourras.
Grondement sourd. Le garçon taciturne et inquiétant fait une chute, et Tiffany finit par parvenir à éloigner Pansy. Le portrait redevient net. Pansy se met à pleurer.
TIFFANY. au garçon taciturne et inquiétant Prends-le ! Emmène-le !
Croyant qu'elle parle du portrait, il commence à s'enfuir vers les coulisses.
TIFFANY. NON ! Pas le portrait, le garçon ! Prends le garçon, et emmène-le. Emmène-le loin de son portrait. Et donne-moi son portrait.
Au moment où ils semblent échanger le portrait et Pansy, celui-ci pousse un nouveau hurlement hystérique et se met à se débattre dans les bras du garçon taciturne et inquiétant. Ce dernier le traîne dans les coulisses, et on entraperçoit Tiffany baisser la tête : elle a repris le portrait entre ses mains et s'est remise à le regarder. Un grondement sourd retentit au moment où Pansy a disparu en coulisses, tandis que ses hurlements s'éloignent, et la lumière se rallume complètement.
TIFFANY. Ce garçon est devenu fou. Sa vanité l'a rendu fou. La futilité de la vie l'a rendu fou. Les crimes qu'il a commis l'ont rendu fou. Ce portrait l'a rendu fou.
Noir de transition.

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DYSTOPIA
De Todo« Papa ! Papa, j'ai un ver dans l'oreille, papa ! J'ai essayé, j'arrive pas à l'enlever ! » Avez-vous jamais rêvé de pouvoir entrer dans le subconscient des gens ? De savoir ce qu'il se passait dans la tête des violeurs et des assassins ? De pouvoi...