SCÈNE 21

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LE PORTRAIT DE PANSYARYALE GARÇON TACITURNE ET INQUIÉTANTLE CADAVRE DE ROYALINE, TIFFANY.

Arya est à l'avant de la scène. Le garçon taciturne se tient au fond, derrière le cadavre de Royaline. Dès qu'Arya se met à parler, il commence à tourner en boucle autour du cadavre.

ARYA. Je l'avais vu venir. Je l'avais dit. Je l'avais senti. J'avais senti que des choses horribles se préparaient, et des choses horribles sont arrivées. Ce n'était pas la première fois. Et ce ne sera pas la dernière fois non plus.Ce n'était pas la première fois, parce que j'ai rencontré une fille en train d'errer sans but sur le trottoir, et, quand je lui ai demandé ce qu'il lui arrivait, elle s'est mise à me parler en allemand.

Je lui ai dit qu'elle n'avait vraiment pas l'air bien, que je m'inquiétais pour elle, et elle m'a dit « Ich denke. » Je lui ai demandé ce que ça voulait dire, et elle m'a répondu que ça voulait dire « Je pense ». Elle était belle. Vraiment très belle. Après, elle m'a dit « Ich erinnere mich ». Je lui ai demandé ce que ça voulait dire, et elle m'a répondu que ça voulait dire « Je me souviens ». Alors, je lui ai demandé de quoi elle se souvenait.

Long silence.

ARYA. Et elle n'a plus rien répondu.

Arya se remet à songer, et le garçon taciturne et inquiétant, continuant toujours de tourner autour du cadavre de Royaline, commence à enlever une à une les bandes que Tiffany a mises.

ARYA. Et ce n'est pas non plus la dernière fois que des choses horribles vont se passer, parce qu'il ne s'est toujours pas passé la chose horrible avec le lasso et le revolver. Puis ce n'est pas tout. Il va y avoir un drame dans un musée, aussi. Un fou va entrer par effraction et va détruire un tableau.

Grondement sourd. Des ombres se rajoutent sur le portrait de Pansy.

ARYA. Je sens que tout ça va mal finir. Vraiment très mal finir.

Le garçon taciturne et inquiétant a fini de ramasser les bandes. Il va les donner à Arya avant de retourner près du cadavre de Royaline.

ARYA. Mais c'est pas grave, j'avais dit que j'aimais bien les histoires qui se finissaient mal, de toute façon.

Le garçon taciturne et inquiétant a retiré le masque du visage de Royaline, et vient de l'enfiler. Il retourne voir Arya, qui pousse un cri en le voyant. Le garçon taciturne et inquiétant retourne au fond de la scène et commence à tirer le cadavre de Royaline dans les coulisses.

ARYA. Non !! J'avais dit que j'aimais bien les histoires qui se finissaient mal, mais là, c'est différent ! Je ne peux pas aimer cette histoire ! Cette histoire, je joue dedans ! Alors ce n'est pas une histoire : c'est une réalité. C'est ma réalité, en tout cas. Celle dans laquelle je joue. Est-ce que c'est juste une histoire, alors, ou est-ce que c'est définitivement une réalité ? Mais c'est quoi, la différence entre une histoire et une réalité, au fond ? N'y a-t-il pas toujours une part de réalité dans la fiction, et un côté fictionnel dans la réalité ?

Je ne sais plus. Je n'ai plus envie de le savoir. La seule chose que je sais, c'est que tout ça va se finir mal. Très mal. Et aussi que je ne sais rien. Rien du tout. Je prévois la façon dont ça va se finir, mais je ne sais pas comment ça va vraiment se finir. Mes prévisions ne sont peut-être pas réelles. Peut-être que rien n'est réel. Peut-être que tout cela est un rêve. Mais est-ce que c'est un rêve réaliste, ou une réalité onirique ? Je ne sais plus. Je n'ai plus envie de le savoir.

Le garçon taciturne et inquiétant revient sur scène et trouve le ver, qui était sous le cadavre de Royaline. Il le prend et retourne voir Arya. Celle-ci hurle et lâche les bandes en voyant le ver. Elle s'éloigne, et c'est au tour du garçon taciturne et inquiétant de se retrouver à l'avant de la scène.

ARYA. Je suis folle ! Je suis en train de le devenir ! Ce monde va me rendre folle ! Qu'il soit réel ou fictionnel, il va me rendre folle dans tous les cas ! Je fais des rêves prémonitoires, j'ai des visions, je détecte des signes, je peux voir ce qu'il va se passer dans l'avenir, mais je ne peux pas le savoir... suis-je une voyante ? Suis-je une devineresse ? Suis-je une prophétesse ? Je suis peut-être juste folle ! Une folle ! Une malade mentale ! Mais qu'est-ce que j'ai vécu pour devenir comme ça, putain ? J'ai passé ma vie à être déçue. Je me suis faite violer par un ver qui est rentré dans mon oreille, ou par des corbeaux à corps humains qui me forçaient à réciter les verbes irréguliers en anglais, ou par une fille qui a promis de me rendre heureuse si je la suivais dans un endroit noir et chaud.

Je suis allée en manif au lieu d'aller en cours d'allemand, j'étais jalouse de mes frères quand j'étais petite, et je me suis faite étrangler avec un ver par un type qui parlait en allemand. Je suis tombée amoureuse d'une fille que je ne connaissais pas. J'ai tué quelqu'un pour venger une autre fille que j'ai rencontrée un soir en train d'errer sans but sur le trottoir, que j'ai trouvée vraiment très belle, et que j'ai raccompagnée chez elle. J'ai refusé de devenir vieille, et j'ai demandé à mon portrait de porter les marques de mes crimes à ma place. Et enfin, j'ai momifié la société qui me pondait des diktats dans l'oreille.

Pendant qu'elle parlait, le garçon taciturne s'est enroulé le ver autour de la gorge, puis l'a passé derrière sa tête et l'a ensuite repris en faisant mine de le faire sortir de son oreille. Il répète ces trois gestes jusqu'à la fin de la réplique d'Arya. Celle-ci, une fois qu'elle a fini, arrache le ver des mains du garçon taciturne et inquiétant, le jette par terre et l'écrase, faisant s'enfuir le garçon taciturne et inquiétant dans les coulisses.

Arya se penche pour ramasser les bandes qu'elle a faites tomber par terre et se met à momifier le ver. Tiffany apparaît au fond de la scène. Pendant quelques instants, elle regarde une feuille qu'elle a entre les mains, puis lève les yeux et observe ce que fait Arya. Alors, un grondement plus sourd que d'habitude retentit. Tiffany ne bronche pas, mais Arya sursaute et s'enfuit. Le ver momifié reste à terre à l'avant de la scène. Tiffany se remet à regarder la feuille qu'elle avait entre les mains. Noir de transition.

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