La fugitive

Chapitre 16

Le concert était terminé depuis une bonne vingtaine de minutes déjà et le lendemain, il leur faudrait réunir le matériel et ranger la salle mais pour l'heure, les deux jeunes filles s'étaient rendues, exténués, dans la loge qu'elles partageaient. Éléonore -ou Astal pour le monde- s'était endormie sitôt qu'elle s'était affalée sur son lit, un air paisible et heureux sur le visage.

Un instant attendrit par cette vision, son sourire se fana bien vite et son regard se posa sur la fenêtre aux volets encore ouverts qui baignait la pièce de la douce lueur de la lune dans un éclat d'argent.

Contemplant un instant l'astre nocturne, elle finit par se laisser tomber à son tour sur la couette moelleuse du lit et fixa le plafond qui, d'un blanc uni, semblait la narguer.

Elle ferma les yeux. Où était donc passée Amélie, la timide petite fille qu'elle avait été autrefois ? Et quand avait-elle disparue ? Tournant la tête vers la fenêtre, elle contempla le paysage sombre de l'extérieur.

*

" Et à quoi me servira-t-il ?

- Il pourrait espionner pour vous, monseigneur...

Recroquevillé au sol, couvert de bleus et de blessures, le jeune homme suivait le débat avec attention, sachant qu'il déterminait son destin. Il tremblait : qu'est-ce qu'il lui avait pris de vouloir se mettre au service de quelqu'un d'aussi monstrueux ? Lui voulait juste se faire connaitre, mais avait-il pris la bonne décision ?

L'homme, qui devait avoir le même âge que lui, lui lança un regard méprisant.

- Tuez-le. déclara-t-il finalement en quittant la pièce d'un pas égal, sans même un regard vers sa future victime.

Il se prit la tête entre les mains : ça y est, c'en était fini de lui. Et tout ça pour quoi ? Un rêve stupide.

Terrorisé, il entendit un cliquetis lui
indiquant que l'homme de main avait abaissé la gâchette de sécurité de son révolver. Crispé, il attendit la détonation qui l'achèverait. Un bref courant d'air frais le fit frissonner et un formidable « bang ! » retentit... mais la douleur ne vint pas.

Surpris, il ouvrit un œil : devant lui, encapuchonnée et le visage masqué se tenait une femme qui formait un rempart entre le jeune homme et son agresseur. C'était elle qui avait arrêté la balle, et le garçon vit un filet de sang dégouliner de son épaule.

- Pose ton arme. ordonna-t-elle sans avoir l'air de se soucier de sa blessure, brisant le silence stupéfait.

Mais son adversaire, loin d'être assez stupide pour craindre une inconnue venue de nulle part, rechargea son revolver pour le pointer vers l'intruse, incroyablement calme. Le jeune homme l'injuriait en silence : "Imbécile ! Tu n'aurais pas dû intervenir, à cause de toi, il y aura deux victimes à la place d'une ! "

Mais en deux en trois mouvements, l'agresseur était étendu par terre, inconscient, et la femme lui tendait la main à lui, pauvre garçon sans amis qui, en cherchant à se faire connaître, avait sûrement fait la plus grande erreur de toute sa vie, pour l'aider à le relever.

- Je sais ce que tu veux, Liam, et je ne t'offre pas la gloire ni la célébrité, mais la fierté et l'honneur de travailler pour ceux qui en ont besoin dans l'ombre. »

" Elle connait mon nom ? " s'étonna-t-il, toujours aussi stupéfait par ce qui venait de se passer. Puis il plaça une main hésitante dans celle de sa sauveuse et ils sortirent tous deux dans la nuit froide, sans un bruit et loin de la bâtisse de l'horreur.

*

Cinq ans auparavant, alors qu'elle débutait à peine dans sa carrière de chanteuse avec un groupe, elle avait dû trouver un moyen de fausser compagnie à la fin d'un concert à la joyeuse troupe pour aller venir en aide à Liam, jeune garçon timide ayant un an de moins que lui. Bon élève, ses camarades se moquaient souvent de lui par jalousie et d'après ce qu'elle savait de lui, elle n'avait pas eut de mal à découvrir où il avait décidé de se rendre pour devenir connu et ainsi mettre fin à son calvaire.

Mais une fois qu'elle l'eut confié à une organisation dont elle faisait depuis récemment partie, elle leur demanda l'endormir et de la ramener, histoire que cela ai l'air d'un enlèvement, ces blessures servant de preuves.

La supercherie avait extrêmement bien marché... mais jamais elle ne se serait doutée que cela se retournerait un jour contre elle. Ce soir, oui ce soir, une importante expédition aurai lieu pour mettre un jour le coup d'état comploté par Gaël Du Champs. Elle avait mobilisé ses meilleurs "agents", ceux en qui elle avait le plus confiance et qui avaient le plus de force, autant physique que mentale. Mais si il se passait quelque chose ?

Elle ne pouvait pas refaire le même coup que cinq ans avant, car la sécurité avait été quatriplée...

Poussant un énième soupir, elle se tourna du côté du mur, elle passa les doigts entre le lit et celui-ci pour effleurer l'étoffe d'une cape et et la soie d'un voile, sans oublier la matière rêche d'un masque. Elle mourait d'envie de sortir vérifier que tout se passait bien mais elle se retourna de nouveau pour observer sa camarade endormie, sur laquelle elle avait tout de même déposée une couverture : elle ne pouvait pas sortir, cela ne ferait que mettre ses camarades en danger...

Soupirant pour la quarantième fois au moins en trois minutes, elle lança de la musique dans son casque pour se changer les idées : impossible de même songer à s'endormir avant que le jour ne se soit levé et qu'elle n'ai la certification que tout s'était bien passé.

*

Couchée dans son lit et trop excitée pour pouvoir s'endormir, Maya ressassait les évènements de la soirée : les cris de la foule, le sourire radieux des chanteuses, des yeux noisette...

Elle rouvrit brusquement les yeux : des yeux noisettes ? Évidemment, son regard avait croisé celui de la star un bref instant, mais comment pouvait-elle visualiser avec une telle netteté les variations du brun autour de la pupille, surtout à cette distance ?

"Tu ne dois pas leur en parler"

Mais parler de quoi ? Et surtout, a qui ?

Mais elle n'eut pas le temps de réfléchir à la question qu'elle sombra aussitôt dans le sommeil, oubliant par la même occasion ces deux détails, aussi importants soient-ils, pour plonger dans le pays de Morphée.

*

Encore dix secondes. Neuf. Huit. Sept. Six...

La lune brillait si fort qu'il pouvait distinguer sans mal les alentours, éclairés par la lueur argent de l'astre. Comme cette fois-là. Sauf que là, il était seul. Seul avec son passé, sans espoirs de sauvetage envisageable. Seul avec un poids inimaginable qui lui reposait sur les épaules.

Mais je suis plus fort, songea-t-il, comme pour se rassurer. Cette fois, il est temps de régler nos comptes et d'enfin la savoir en sécurité. Enfin, LES savoir en sécurité...

Il s'élança comme une flèche sur le domaine, aussi visible que s'il faisait parti du décors. Le sort était jeté.