Chapitre 15 : Brothers

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Il règne une ambiance totalement différente dans le bâtiment de rééducation orthopédique. Pas d'odeur aseptisée, pas de bip ou de personnel hospitalier pressé dans les couloirs.

Les murs ne sont pas vieilli de ce jaune salle, ni du blanc délavé des urgences. Ils sont peints d'un joli bleu, terne bien sûr, mais ça donne un côté moins déprimant à l'endroit.

J'ai beaucoup réfléchis, depuis la visite de Becka à la caserne, il y a quelques jours. Je suis conscient d'enfreindre le protocole qui nous interdit formellement de garder contact avec nos victimes, et pourtant, je suis là, déambulant dans ce couloir, un petit morceau de papier dans la main où est inscrit le numéro de sa chambre.

Des éclats de voix et des rires attirent mon attention alors que j'approche d'une porte entrouverte. La scène qui s'offre à mes yeux fait soudain battre d'une drôle de façon le muscle endolori que j'avais presque oublié, au creux de mon torse.

Je reste un instant à les regarder, spectateur de ce bonheur fraternel, un léger pincement au cœur quand une brève pensée de Lou s'intercale dans mon esprit.

Il y a quatorze ans et quelques jours nous aussi rions aux blagues de l'autre, inconscient alors que cette balade à moto serait notre dernier instant partagé.

Je pose une main sur ma poitrine, attendant de voir s'amorcer la crise d'angoisse, ce qui arrive en général quand je me remémore cet événement, et pourtant rien ne vient.

Ma respiration est un peu plus rapide, mais la douleur reste en sourdine, comme si le souvenir de mon petit frère n'était plus qu'un calque posé sur ce moment.

Plus aussi déchirant, ne laissant que le sourire béat et les prunelles bleu, brillantes de joie, flotter dans mon esprit.

Inconscient du sourire présent sur mes lèvres, j'avance de quelques pas et frappe trois petits coups contre la porte qui s'entrouvre un peu plus.

En entrant dans la chambre, je croise le regard aux sourcils légèrement froncés de Lenny, ne reconnaissant pas mon visage et puis, comme au ralenti, Aaron se tourne vers moi et je sens mes lèvres s'étirer en même temps que les siennes quand il me reconnait, les yeux brillant de larmes.

— Tyler, vous êtes venu !

Son frère, près de lui, frappe tendrement son épaule pour retrouver son attention et réplique d'une voix presque cinglante.

— En même temps, t'as pas arrêté de saouler la moindre personne portant une blouse ici.

— Je voulais le remercier, il m'a aidé quand... enfin tu sais.

J'observe cette petite bulle qui les entoure et me contente de rester là sans rien dire alors qu'ils parlent tous les deux. Je prends une longue inspiration et me perds un moment dans mes souvenirs envahis du rire de Louis.

— Je peux toujours pas marcher.

Cette petite phrase à mon intention me ramène au moment présent et j'accroche le regard de Aaron.

— Hey, Lenny, tu m'aides ?

Je vois ce dernier se pencher pour atteindre le bas du drap et découvrir les pieds de son frère.

— Regardez !

Aaron fixe alors le bout du lit, le visage gravé d'une concentration importante, plissant les yeux en fusillant presque ses phalanges du regard.

Et puis, je le vois, un faible mouvement de son gros orteil du pied gauche.

C'est bref, mais ça n'empêche pas le visage de Aaron de s'emplir de fierté en relevant ses prunelles brillantes vers moi.

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