16 - Remords

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Je fonçai directement chez Manon en quittant Nabil. Je ne me voyais pas rester toute seule ce soir-là. J'envoyai un message à mes parents pour les prévenir et éteignis mon téléphone pour me terrer dans mon désarroi. J'étais au bout du rouleau. Ma chère fille il n'y a pas pire sensation que de vivre une injustice. Mais ce qui est encore pire c'est quand on est à l'origine de sa propre injustice. Par mon entêtement, mon aveuglement... j'ai crée mon monstre, je l'ai nourri et aujourd'hui qu'il se sent assez gras il veut me terrasser. Sur tout le trajet la série des « j'aurais dû... » et des « si je savais... » s'alternaient dans ma tête. Et soudain une pensée encore plus amère me traversa l'esprit : comment réagira Manon en apprenant pour Camille ? Je me refusai de penser à ça. De toute façon je ne pouvais plus être aussi mal donc autant se préparer à encaisser.

En arrivant chez Manon, je la trouvais devant à m'attendre avec une inquiétude notable. Elle m'étreignit un long moment avant de me tirer vers l'intérieur. Je m'installai dans sa chambre et elle m'apporta une tasse de thé au citron qui était clairement la bienvenue. Je lui racontai tout depuis la dernière fois qu'on s'était vu : la discussion avec mes parents, mon entrevue avec Nabil sans omettre aucun détail. Je me tus ensuite en attendant ses reproches par rapport à Camille (et elle aura eu raison) mais il n'en fut rien. Elle semblait cogiter à un point que je n'arrivais pas à deviner ce qui se passait dans sa tête.

- C'est très mauvais vu l'influence des parents de Camille...

Elle avait dit ces mots sans me regarder comme une sorte de réflexion à haute voix. Elle avait l'air plus affectée que moi. J'aurais cru qu'elle se ferait sûrement un plaisir à me descendre ou me rappeler que c'était en quelque sorte de ma faute, mais elle semblait au-dessus de cela. Elle élabora plusieurs théories qui pourraient nous aider mais à chaque fois on se rendit compte qu'il y avait toujours un petit quelque chose qui faisait que cela ne pouvait marcher. À un moment donné la culpabilité me dévorant l'esprit, je décidai de vider mon cœur. Je me confondais en excuse reconnaissant mes torts depuis le début et surtout en lui demandant pardon pour tout le mal que mon imprudence avait entrainé. Manon m'écoutait attentivement en restant totalement stoïque.

À la fin de mon récit, elle me prit dans ses bras et me fit un gros câlin en me murmurant des paroles réconfortantes. J'explosai en sanglots sans pouvoir me contrôler. Je me dis en ce moment que je ne méritai pas une telle amie mais faut croire que j'avais un ange gardien qui avait missionné Manon pour veiller sur moi-même après tout ce que je lui avais fait subir. J'en étais très reconnaissante et je voulais le dire mais je n'arrivais pas à parler. Chaque mot que j'essayai de sortir était automatiquement noyé par râles et sanglots, le tout agrémenté par un torrent de larmes qui inondait la peluche que je tenais. Je me résignai à pleurer en silence en profitant des caresses de ma meilleure amie sur le dos.

Je me réveillai d'un coup en sursaut. J'ai dû pleurer jusqu'à m'endormir. Vu la luminosité de la pièce, la nuit a dû tomber. J'avais faim, je n'avais rien avalé de la journée. Manon n'était plus dans la pièce je me redressai et tâta pour allumer la lampe de chevet. Je vis sur son radio réveil qu'il était 23h passé, j'avais beaucoup dormi. La porte s'ouvrit quelques minutes plus tard et Manon fit irruption avec plateau de nourriture comme si elle lisait dans mes pensées. Je la remerciai et elle me sourit poliment.

Après avoir bien mangé, on se remit à discuter de tout et de rien, tantôt se rappelant de nos conneries d'enfance tantôt évoquant notre avenir universitaire. On s'était dit de passer la soirée sans parler de nos soucis, d'attendre le lendemain et voir ce qu'on pouvait faire pour aider Nabil. La soirée ne dura pas trop longtemps, je ressentais une lassitude extrême et ne pensais qu'à dormir. Manon me borda comme si j'étais sa fille et s'installa à côté de moi pour dormir. Malgré les circonstances, je dormis comme un bébé ce soir-là. Sans doute l'effet rassurant d'une présence amicale.

Le lendemain matin, je ne me sentais pas beaucoup mieux que la veille. J'attaquais directement de nouvelles théories dès la sortie du lit. Manon m'ignorait cordialement, elle devait penser que j'étais folle de m'exciter ainsi dès le réveil. Elle sortit puis revint me servir le petit déjeuner au lit avec un petit commentaire « un ventre vide ne favorise pas la réflexion ». Je la remerciai et me jetai sur les viennoiseries pour les dévorer sans retenue. Elle alla vers la fenêtre de sa chambre pour nourrir un poisson rouge que je n'avais jamais remarqué avant. Elle m'expliqua que c'était un cadeau de ses parents pendant les révisions.

Après avoir mangé je rallumai mon téléphone pour voir les nouvelles. Seul un message de Nabil et un de ma mère, tous deux pour prendre des nouvelles. Je le reposai après avoir répondu aux deux messages. Je partis à la maison avec Manon pour me changer et aussi parce que même si l'envie était là je ne pouvais pas déserter ma maison plusieurs jours. À cette heure-là je ne risquai pas de tomber sur mes parents. Je pris une douche rapide, me changeait et ressortis avec Manon pour rejoindre Nabil. Nos journées cette semaine-là étaient quasiment toujours semblables : Je dormais chez Manon et le lendemain après un passage rapide à la maison on partait avec Nabil chez son avocat pour essayer d'élaborer une stratégie pour nous tirer d'affaires. Cela ne s'annonçait pas forcément très glorieux. Chaque théorie, qui semblait bonne au début finit par révéler une grosse faille. Je commençai à me demander si on y arriverait un jour.

La dernière fausse bonne idée de l'avocat fut de m'appeler comme témoin. J'étais très loin d'être crédible. Dès l'évocation du nom de Camille je me mettais hors de moi alors qu'on répétait seulement, qu'en serait-il quand je l'aurais eu en face de moi ? c'était trop risqué et je pense que l'avocat de la défense qui est un ténor du barreau d'après les rumeurs pourraient même se servir de mon témoignage pour nous enfoncer. On renonçait à cette idée qui ne menait nulle part. Nabil, lui restait d'un zen presque troublant. De son attitude on aurait cru qu'il savait qu'il serait innocenté alors que ce n'était pas du tout joué d'avance et il le savait. Plus tard j'ai compris qu'il stressait plus que nous tous, mais il ne pouvait pas nous le montrer de peur de nous voir craquer. Il a toujours voulu protéger son entourage même quand c'est lui qui devait être protégé.

Les jours de préparation passaient à vitesse grand V et nous n'avancions pas d'un pouce. Je stressais et devenais de plus en plus pessimiste mais Nabil lui gardait son éternel sourire. Avant de se quitter la veille du procès il nous dit :

- Écoutez, il se peut que cela ne se passe pas comme on voudrait demain, mais il faut que vous promettiez de garder votre calme quoi qu'il arrive. Il faut que vous soyez lucides pour veiller sur ma mère si cela se passe mal. Mais je continue de croire que tout se passera bien, j'ai confiance que la justice finit toujours par triompher.

Je l'admirai et j'avais envie d'avoir son optimisme, mais je n'y arrivais pas. J'avais beau me mettre des pensées positives dans la tête je n'arrivai pas à voir une issue heureuse à cette histoire. Je voulais me coucher et me réveiller des années plus tard. En plus d'un avenir plus qu'assombri, je me préparai à assumer ma culpabilité dans cette histoire. Apprendre à vivre ma vie en sachant que l'amour de ma vie s'est vu gâchée la sienne par ma faute, mon imprudence, mon incrédulité. J'avais la tête qui allait exploser. On était aux portes du procès et dans ma tête il n'y avait que culpabilité et remords.

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Bonjour les amis,

à bientôt

Bak0ura

AfflictionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant