Chapitre 14

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« Steve. »

Elle avait prononcé son nom aussi solennellement qu'une prière.  Steve avait perdu sa mère très tôt.  Il ne gardait d'elle que des souvenirs d'enfance.  Des impressions.  Le ton qu'elle avait quand elle l'appelait.  Cette façon qu'elle avait de lui caresser les cheveux dès le moment où elle passait près de lui.  Son odeur.  La lavande.  Ses longues boucles blondes qui lui couraient le long du dos, dans ces rares moments où elle laissait ses cheveux détachés.  Les bruits qu'elle faisait à la cuisine, le soir, alors qu'il faisait semblant d'être endormi dans son lit.  Son air nostalgique et triste qui semblait ne jamais vouloir la quitter depuis la mort de son petit frère.  Il sut qu'il rêvait dès le moment où il l'aperçut.  Ils n'étaient pas dans leur appartement de Brooklyn.  Il ne connaissait pas ce salon.  Mais il s'en moquait éperdument.  Elle était là, comme elle l'avait toujours été.  Jeune et fière dans une de ses éternelles robes à fleurs.  Ses cheveux remontés contre sa nuque.  Ses lèvres rouges comme elle ne les peignait que le dimanche.  Souriante comme il ne l'avait jamais connue.  Oui, Sarah Rogers était une femme magnifique lorsqu'elle se permettait un sourire.  Et comme elle lui avait manqué !  Elle était bien là, assise dans ce grand fauteuil près de la cheminée, une tasse de thé posée près d'elle.  Lorsqu'elle tourna la tête vers lui, plongea son regard océan dans le sien, Steve eut l'impression qu'il allait éclater en sanglots.  Debout dans l'embrasure ses portes françaises, il était paralysé d'émotion. 

« Steve. » 

La voix était venue d'ailleurs.  Sur le canapé, une autre femme était assise.  Winnifred Barnes.  La mère de Bucky.  Elle aussi était décédée très jeune, mais avait néanmoins eut le temps de prendre soin de lui après le décès de sa mère.  Il se rappelait très bien sa voix forte et aigüe.  Sa délicatesse exquise et son amour qui semblait ne vouloir que se multiplier.  Cette manière dont elle l'avait accueilli chez elle, sans poser de questions et sa jamais laisser paraître un seul regret malgré la pauvreté qui les accablaient alors.  Non, Winnifred Barnes n'était pas une femme aussi splendide en apparences que l'était Sarah Rogers.  Mais il émanait d'elle une telle lumière, une telle joie de vivre et tant d'amour qu'on ne pouvait que rester là et l'admirer.  Et penser qu'elle était la plus belle femme du monde.  Aussi brune que Sarah était blonde, aussi grande que l'autre était petite, Winnie portait sur elle un sourire qui ne voulait jamais la quitter.  Les deux femmes semblaient antagonistes en tous points.  Et pourtant elle était là, elle aussi, dans ce rêve qu'il avait tant espéré depuis l'enfance.  Les revoir, toutes les deux.  Ces deux mères qui avaient pris soin de lui et qui l'avaient aimé, chacune à leur manière. 

« Steve. »

La voix lui était des plus familières.  Il tourna un peu plus la tête et ce fut à ce moment qu'il la vit.  Assise près de Winnifred.  Peggy.  Vêtue de son fidèle uniforme de l'armée qui ne semblait avoir été conçu que pour elle.  Ses cheveux tressés et ses lèvres rouges telle qu'il se la remémorait toujours.  Aussi souriante que les deux autres, belle comme le jour, elle était assise là, tranquille, comme si le monde autour avait cessé de tourner.  Margaret Carter, cet ouragan de personnalité, cette tempête qui cachait une des femmes les plus sensibles et attentionnées qu'il avait jamais connues.  Celle qui avait su voir au-delà des apparences.  Qui l'avait vu, lui, tel qu'il était alors.  Qui ne s'était pas arrêtée au maigrelet qu'il avait été.  Il n'avait qu'à fermer les yeux pour la revoir dans les moindres détails, pour sentir son parfum, pour entendre le timbre de sa voix scintillante.  Même s'il ne l'avait côtoyée que très peu de temps, Peggy avait été pour lui le synonyme d'un avenir plus bleu, d'un futur où enfin il aurait sa place dans le monde.  Il avait l'impression de l'avoir connu toute sa vie.  Et elle était là, comme les deux autres, belle comme pas une et l'appelant par son prénom.

L'Entre guerres [COMPLET!]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant