XXV- Un cœur qui bat

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Angélique

Tout est parti de travers. Je n'adresse plus la parole à Gabriel depuis hier soir. Il a beau me poser des questions, je l'ignore ou lui réponds par onomatopées, si bien qu'il a finit par comprendre que tenter de se faire pardonner dans les plus brefs délais est impossible. Je ne me considère pas comme ayant la rancune tenace, mais il y a des limites ! Dix-neuf ans qu'il entre dans ma tête sans complexe, avec un naturel déconcertant. Tu m'étonnes que je n'avais aucun secret pour lui...

Il parait que nous arriverons bientôt au Sanctuaire, mais qu'il y aura quelques bons kilomètres de marche avant d'y parvenir. Super. Bon, au moins, l'exercice physique devrait me vider un peu la tête.

J'ai dû m'endormir car lorsque je rouvre les yeux, le soleil est déjà très haut dans le ciel et la voiture est à l'arrêt. Gaby et Fenris sont déjà dehors visiblement en train de mettre les choses au clair pour la, quoi... millième fois ?

Je sors du véhicule à mon tour et claque la portière histoire qu'ils se rendent compte de ma présence. Gabriel tente un pauvre sourire tandis que Fenris me lance un regard étrange, savant mélange de méfiance et de nostalgie. 

- Bon, on y va ou on prend racine ? dis-je finalement devant l'absence totale de réaction de tous les partis.

- Tu es sûre d'être suffisamment en forme pour l'ascension ? me demande Gabriel, visiblement peu confiant quant à ma résistance à l'effort.

Bon, il n'a pas tord, le sport n'a jamais été vraiment ma passion, mais la marche ne me dérange absolument pas, au contraire !

- Ne t'en fais pas pour moi, allons-y, ce voyage n'a que trop duré.

Il fait la moue avant de finalement se décider à me suivre. Pour la première fois depuis deux jours, Fenris est libre de ses mouvements. En même temps, je ne sais pas trop comment il ferrait pour crapahuter entre les différentes montagnes de l'Oural avec les mains attachées dans le dos.

Nous nous lançons à l'assaut de ces nombreux pics rocheux. Gabriel dit savoir précisément où se trouve le Sanctuaire. Heureusement, parce que pour ma part, à part des cailloux et des plantes, je ne vois pas grand chose qui pourrait capter mon attention et me guider vers ce fameux lieux mystique.

Nous marchons toute l'après-midi sans presque nous accorder de pause. Je dois avouer que je commence sérieusement à regretter la voiture. Gabriel marche d'un bon pas, gardant néanmoins toujours un oeil sur moi, Fenris fermant la marche. Je suis à bout de souffle et mes pieds me font souffrir à chaque pas. Si je m'assois, jamais je ne pourrais repartir. Gaby remarque bien vite mon épuisement et ralentis légèrement le pas.

Toujours trop rapide. Les plus longues marches que j'ai dû faire devaient faire environ vingt kilomètres. Aucun doute que je viens d'exploser mon record. Mais le jeu en vaut la chandelle, alors je prends mon mal en patience et...

Je me redresse et stop la marche, cherchant ce qui a bien pu me tirer de l'automatisme dans lequel je suis plongée depuis plus d'une heure. Je regarde autour de moi et finis par trouver le détaille qui chiffonne. Fenris est au sol, une main sur sa plaie, tentant de se redresser de l'autre. Je m'approche de lui pour lui offrir mon aide, faisant fi des protestations de Gabriel.

Je passe ma tête sous le bras du démon pour l'aider à se relever mais il s'écarte brusquement, manquant de me faire chuter à mon tour.

- Qu'est-ce qui te fait croire que tu peux me toucher ?! crache-t-il méchamment.

Je le dévisage un instant, un peu secouée par ce rejet. Les quelques contacts que j'avais eu avec lui m'avaient plutôt habituée à une proximité malsaine, et maintenant que je lui offre mon aide pour une broutille, il me dégage comme la dernière de vendeuses de tapis !

Je me redresse fièrement, décidant qu'il est grand temps de me montrer un peu plus autoritaire. Je ne lui réponds rien mais le fusille du regard avant de reprendre la marche. S'il veut rester là, grand bien lui fasse ! Puis soudain, je comprends son geste.

Hier soir, ce que j'ai vu, c'était son passé, ou tout du moins une partie. Je ne sais pas ce qu'il veut cacher, mais une chose est sûre : il ne veut pas que l'expérience de la nuit dernière se reproduise. Voilà qui attise ma curiosité ! Non ! Non, Angi, tu es sage, tu restes à ta place et tu arrêtes de mettre ton nez dans les affaires des autres ! Je me sermonne en silence tandis que Fenris se relève avec difficulté avant de reprendre la marche.

Nous marchons encore jusqu'à la nuit tombée, et étrangement, plus nous avançons, plus ma fatigue semble s'envoler. J'ai l'impression de peser dix grammes et de pouvoir avancer encore jusqu'à l'aube et plus encore. Mon petit doigt me dit que le Sanctuaire ne doit plus être très loin.

En effet, à peine deux heures plus tard, Gaby s'arrête et me laisse le rejoindre. Il sourit fièrement, visiblement heureux d'être arrivé à destination en un seul morceau.

- Voilà ton chez-toi, Angi !

Il me désigne de la main une vallée caillouteuse où un vent violent chasse une poussière grise nauséabonde. Je ne peux m'empêcher de penser que ces petites particules poudreuses sont peut-être les restes des corps de ceux qui sont tombés au champ d'honneur il y a des dizaines d'années de cela. Je fronce le nez.

- Sérieusement ? C'est ça le Sanctuaire ? dis-je, légèrement nauséeuse et complètement dégoûtée tandis que notre démon préféré arrive à notre hauteur.

- Non, souffle alors Fenris d'une voix où perce la fatigue. Le Sanctuaire se trouve par-delà cette réalité. Avance encore de cent mètres et tu verras ce lieu sacré tel qu'il est et sera pour toujours. Enfin, si jamais tu en es digne.

Attends, quoi ? Si j'en suis digne ? C'est quoi encore cette blague ? Je me suis farcie deux ennemis mortels pendant des jours et des jours pour peut-être être recalée ? Certainement pas ! J'ai une mission à accomplir, d'après ce que j'ai compris, alors digne ou pas digne, je trouverai ce Sanctuaire et sauverai ce qui peut encore l'être !

Je me lance à grandes enjambées décidées sur la pente douce qui mène à ce Sanctuaire caché, suivie de près par mes deux gardes du corps immortels (ou presque). Arrivée au bas de la montagne, je ressens un étrange picotement, comme si l'air était tout à coup chargé d'électricité statique. Comme dans un état second, je tends la main et sens une faible résistance sous ma paume.

Je tourne le regard vers mes deux compagnons de voyage. Gaby est, semble-t-il, en lutte contre l'angoisse que je sens monter en lui, tandis que Fenris sourit. Rien d'anormal de ce côté. Par contre, pourquoi Gabriel est-il si tendu ? Bon, peu importe, je le saurais tôt ou tard.

Je reconcentre mon attention sur la sensation étrange sous ma main. Une sorte de champ de force palpite doucement, comme si un coeur battait non loin. Je devine alors de quoi il retourne. Le Sanctuaire. Le seul endroit où passent toutes les Filles de la Terre, celles qui doivent protéger leur Mère. Ce coeur qui bat, c'est celui de la Terre, fille aînée du Père et source de toute vie sur sa surface. Devant cette évidence, je me sens à la fois étrangement sereine et totalement perdue.

Finalement, la sérénité l'emporte et j'avance d'un pas encore, découvrant pour la première fois le Sanctuaire.

Ex Nihilo -1- Homo homini lupus est [Wattys 2020 - Paranormal]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant