XLIX- Retrouvailles nocturnes

495 62 6
                                    

Angélique


Je suis réveillée au beau milieu de la nuit par un son sec qui me fait sursauter. Je me redresse vivement dans mon lit, cherchant la provenance de ce son.

"Tac !"

Je me retourne vers ma fenêtre. Un troisième claquement me fait comprendre que quelqu'un s'amuse à jeter des cailloux sur ma vitre.

Je m'extirpe de mes draps et vais ouvrir la fenêtre. En bas, une silhouette familière me fait signe de descendre. Gabriel.

Sans plus attendre, je dévale les escaliers le plus rapidement et le plus silencieusement possible et sors de la maison pour rejoindre mon ami.

Il est revenu ! Je n'en crois pas mes yeux. Je distingue sa silhouette élancée entre les ombres des arbres dessinées par la pleine lune scintillante. Mais alors que je m'apprête à lui sauter dans les bras, il m'arrête d'un geste et recule d'un pas, s'enfonçant plus encore dans l'obscurité.

J'arque un sourcil, étonnée.

- Gaby ? Tout va bien ?

Il met un petit temps à répondre, le silence pesant nous enveloppant un instant.

- Tout va bien, ne t'en fais pas. Je venais simplement te faire mes adieux et t'annoncer une triste nouvelle.

Je sens mon cœur se serrer. La voix autrefois chantante et agréable de mon ami est désormais brisée, éraillée, comme s'il avait trop crié.

- Me... Me faire tes adieux ?

- Oui... Le Père m'a assuré que c'était la meilleure chose à faire étant donné ma propension à m'attacher un peu trop aux mortels.

Je reste sans voix pendant un moment.

- Le Père... Pourquoi dois-tu donc toujours faire ce qu'il t'ordonne ? Ne peux-tu pas faire tes propres choix ? m'emporte-je.

- Non. Le prix à payer est bien trop grand. J'ai désobéit une fois, cela m'a suffit.

Sa voix se brise une nouvelle fois alors qu'il baisse piteusement la tête. Je ne peux résister. Je m'approche de lui comme je m'approcherais d'une bête blessée.

- Gaby, que t'as-t'il fait subir en gage de ta désobéissance ?

Il ne répond pas, mais ne recule plus non plus, me laissant l'approcher. Ses cheveux blonds retombent bizarrement devant ses yeux. Je passe machinalement mes doigts sur son visage pour en chasser les quelques mèches qui le dissimulent et recule d'un pas, horrifiée.

Là où brillait autrefois un regard plus bleu qu'un ciel d'été se trouve seulement une épaisse cicatrice blanchâtre barrant son œil gauche du haut du front à la pommette. Jamais plus il ne pourra retrouver son œil.

Presque contre ma volonté, j'approche ma main de sa joue et plonge dans une vision. Je vois Gabriel maintenu fermement par ses deux frères tandis qu'un être indescriptible s'approche pour accomplir sa sentence. J'entends les hurlements de douleur de mon ami, je vois les larmes couler sur les joues de ses frères, mais je ne vois aucune émotions sur le visage du Père.

Je sens les larmes me monter aux yeux.

- Comment un être se disant miséricordieux peut-il être aussi cruel envers son serviteur le plus dévoué ? souffle-je.

Gabriel détourne le regard, laissant ses mèches rebelles retomber sur son œil borgne.

- La justice se doit d'être aveugle. Le Père m'a promis que si je devais trahir à nouveau sa volonté, je le serais aussi. Mais ce n'est pas de cela que j'étais venu te parler.

Je tente de me reconcentrer sur ses paroles tout en me maudissant d'avoir arrêté Fenris. S'il avait détruit le Père, cela nous aurait fait un problème en moins.

- Je t'écoute.

- Angi, Fenris a disparu.

Je mets un moment à saisir le sens de ses paroles.

- Disparu ? Il s'est volatilisé ?

Mon ami secoue gravement la tête.

- Non, pas vraiment. Lorsqu'un démon ou un ange meurt, son corps part en poussière. Il ne reste rien de lui sinon un tas de cendres fumantes et quelques vêtements. Lorsque je suis revenu de mon... entrevue avec le Père, c'est tout ce que j'ai retrouvé de lui. Quelques tâches de sang, un tas de vêtements et un peu de cendres.

J'ai l'impression que la Terre a oublié de tourner.

- Angi, Fenris est mort, conclu-t-il.

Cette nouvelle me fait l'effet d'un coup de poignard en plein cœur.

- Mort ? chevrote-je.

Gabriel hoche douloureusement la tête.

- J'ai fais tout mon possible pour le ramener, mais il était trop faible après ses combats pour se remettre de blessures si nombreuses et si graves. J'ai déposé ses cendres à côté de la tombe d'Eden. Je pense qu'il aurait trouvé l'idée agréable. Ou alors il aurait rit de mon romantisme à toute épreuve...

Je souris presque malgré moi.

- Ce qui est sûr, c'est qu'il aurait bien rit de nous voir le pleurer.

Nous échangeons un pauvre sourire avant de nous tomber dans les bras. Fenris est mort et mon unique ami, mon meilleur ami s'en va pour toujours.

- Dis-moi que tu seras là, quelque part à veiller sur moi, souffle-je dans son cou, les larmes serrant ma gorge.

- C'est ma mission. Tant que tu vivras, je serais là, invisible et présent. Cherche dans les recoins obscures, tu y croisera sûrement mon regard.

- Ne m'oublies pas...

- Même si je le voulais, tu resteras à jamais ma meilleure amie à travers les âges.

Je souris à travers mes larmes tandis que nous nous séparons à regret. Un dernier sourire et il tourne les talons pour prendre son envole.

Il me manque déjà. Vivre en compagnie d'immortels peut parfois peser sur les nerfs, mais ils parviennent malgré tout à être attachants à leur manière.

Gaby a été et sera toujours l'être le plus cher à mon cœur. Il a été mon confident, mon pilier, il a été plus qu'un frère à mes yeux. Maintenant le voilà partit pour toujours. Mais il restera toujours un petite flamme dans mon cœur. Une petite flamme plus bleue qu'un ciel d'été.

Et Fenris ? Oui, ce démon avait ce petit quelque chose, ce je-ne-sais-quoi qui peut rendre une personne irremplaçable malgré tous ses défauts. Il était belliqueux, menteur, manipulateur, avide de pouvoir et de vengeance, mais surtout, il était courageux, fier, fort, fidèle et amoureux. C'est pour toutes ces raisons que, lorsque son souvenir se rappellera à moi, je sourirai et l'appellerai "mon ami".

Ex Nihilo -1- Homo homini lupus est [Wattys 2020 - Paranormal]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant