XLIV- Ultime combat

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Angélique


J'avance difficilement, le vent me giflant toujours plus fort à mesure que je me rapproche vers son invocateur. A travers cette tornade meurtrière, je ne vois pas à un mètre devant moi. En revanche, il m'est impossible de ne pas entendre les cris des morts, le sifflement de milliers de particules tranchantes qui se fichent dans mes bras et mes jambes, ralentissant peu à peu ma progression déjà désespérément lente.

Mais c'est lorsque j'arrive enfin à distinguer la silhouette sombre de Fenris que je comprends que la traversée ne sera pas si aisée.

Autour du démon gravitent des dizaines et des dizaines de monstres éthérés, gardes intouchables et meurtriers protégeant leur maître, annonciateurs de la fin du monde. Des Wraith. J'avais dû lire quelque chose à leur sujet, mais la seule chose dont je me rappelle, c'est que ces créatures sont des âmes en peine, des âmes damnées qui refusent de rejoindre les Enfers avant d'avoir pu exercer leur vengeance sur ce monde. La bibliothèque du refuge était peu fournie sur ce sujet, mais au moins je ne suis pas totalement ignorante à leur sujet. Mais bon, pour ce que ça m'avance...

Soudain, ces monstres sans corps se dirigent vers l'extérieur du maelström. Les trois archanges ont dû passer à l'offensive et les Wraith contre-attaquent pour protéger leur maître.

Un bras devant le visage pour éviter de me faire lacérer les yeux par les pointes tranchantes qui déchirent encore et toujours le monde autour de moi, je ne vois qu'au dernier moment l'une de ces âmes se jeter sur moi, tous crocs dehors et prête à m'arracher la tête des épaules d'un coup de ses impressionnantes griffes. Je recule d'un bond et trébuche sur le sol inégal, me retrouvant à terre alors que le Wraith retourne à la charge. Je m'écarte à nouveau en roulant sur le côté, mais ses immenses griffes tracent un large sillon sanglant sur mon flanc droit. Je laisse échapper un cri de douleur, mais me reprends vite. Ici, personne ne viendra m'aider. Je ne peux compter que sur moi-même, et ma défaite signera la fin de ce monde.

Je me redresse d'un bond et me retourne pour faire face au monstre sans âge qui se jette une nouvelle fois sur moi, bien décidé à en finir. Au dernier moment, je joins les mains et trace un grand arc de cercle devant moi.

L'obscurité se déchire sous l'éclatante lumière se dégageant de mes mains liées. Le Wraith pousse un cri de douleur déchirant et s'évanouit dans l'obscurité malsaine du maelström.

Même si cette technique avait l'air impressionnante dans les livres, la vérité est encore plus saisissante.

Je tremble. C'est la première fois de ma vie que je prends la vie d'une créature quelle qu'elle soit. Je suis prise d'un haut-le-cœur mais me rappelle rapidement à l'ordre. Je n'ai pas une minute à perdre, je pleurerai sur mon innocence perdue lorsque cette sombre histoire sera terminée.

Gagnée par une détermination à toute épreuve et portée par le courage des âmes qui m'habitent, je me lance à nouveau à l'assaut des vents ravageurs, décidée plus que jamais à mettre fin à ce massacre dont les échos me parviennent de l'extérieur.

Finalement, au bout de ce qui m'a semblé une éternité, je me retrouve face à Fenris, cet être que je pensais avoir compris, qui finalement se révèle sous son véritable jour. Un monstre sans pitié et assoiffé d'une vengeance amoureusement nourrie depuis des années. Au centre de cette tornade destructrice, il n'y a ni vent ni bruit, il n'y a rien, tout est déjà mort.

Il se tient là, debout devant moi, les yeux clos, plus magnifique et mortel que jamais, savourant avec délice cette apocalypse dont il est l'auteur. Ici, au cœur-même de la fin du monde, sa puissance est telle que je dois résister farouchement contre une incroyable envie, presque un impérieux besoin de me laisser tomber là et d'attendre que la mort vienne me cueillir.

- Fenris... dis-je faiblement, tentant de résister autant que possible à l'appel lancinant de la mort. Fenris ! répète-je plus fort.

Cette fois, l'immortel ouvre les yeux et pose son regard d'or sur moi.

- Tu ne devrais pas être ici, Fille de la Terre, dit-il d'une voix atone, sans émotion, absente.

- Je suis parfaitement à la place qui est la mienne. Juste ici, entre toi et ce monde.

Il ricane moqueusement.

- Et depuis quand es-tu devenue une héroïne, dis-moi ?

- Sans doute depuis que tu as décidé de devenir l'antagoniste de mon histoire.

Il laisse à nouveau échapper un rire sec.

- On croirait entendre Gabriel. Il a vraiment bien réussi son coup en te modelant selon ses attentes dès le berceau. Chapeau bas, l'artiste.

Je secoue la tête, refusant de me laisser manipuler une nouvelle fois.

- Fenris, par pitié, arrête immédiatement ce massacre.

Un fin rictus toujours vissé aux lèvres, il me répond d'une voix amusée.

- Et à quel moment en faire appel à la pitié d'un démon t'a paru être une bonne idée ?

Je le fusille du regard.

- Fen, je t'en supplie, arrête, ne m'oblige pas à t'affronter.

Le démon a un mouvement de recul et je ne mets qu'une demi seconde à comprendre pourquoi. Ce n'est pas ma voix qui a prononcé ces mots. C'est celle d'Eden. Elle a de nouveau prit le contrôle de mon être sans que je ne puisse rien y faire.

- Tu n'es pas comme ça, tu n'es pas ce monstre sans cœur que tu te plais à jouer en ce moment, je le sais, continue mon aïeule à travers moi.

- Détrompe-toi, Eden, j'ai toujours été et je serais toujours cette bête immonde que tu as devant toi.

- Où est passé l'être bon et doux dont je suis tombée amoureuse ?

Entendre ces mots prononcés par moi avec la voix d'une autre est une expérience des plus inconfortables, comme si j'étais la malvenue dans mon propre corps, comme une invitée peu appréciée. Je ne suis pas à ma place dans cette conversation que je mène.

- Ce démon s'est éteint, reprend Fenris. Je l'ai achevé, lui et la faiblesse qu'il représentait. Le passé est le passé, jamais il ne pourra être remodelé. Tu as abandonné ce monde à ma colère en me délaissant ici-bas. Mais ne t'en fais pas, je te retrouverai bientôt dans les limbes, mon amour, termine le démon en posant finalement un regard serein et sans remords sur moi, ou plutôt, sur Eden.

Je sens le cœur de la jeune femme qui a tant aimé ce démon se déchirer à ces mots. Fenris a perdu la raison, il n'y a plus rien à faire pour le ramener.

- Eden, viens avec moi. Je vaincrai mes géniteurs, je deviendrai le Maître des Enfers, puis je deviendrai le Maître des cieux. En tuant le Père, j'aurai peut-être assez de puissance pour te ramener auprès de moi, reprend-t-il en tendant la main vers moi.

Je sens une larme brûlante dévaler ma joue alors que l'inévitable s'impose à moi. J'esquisse un pas dans sa direction, puis deux, jusqu'à glisser ma main dans la sienne, un torrent de larmes se déversant à présent de mes yeux rougit. Je me love dans ses bras protecteurs, un mélange de bonheur et de dégoût s'emparant de moi tandis qu'Eden redécouvre avec délice, nostalgie et douleur l'étreinte de son amant, son odeur, sa chaleur...

-Alors tu es bel et bien mort, ce jour là... souffle douloureusement la voix d'Eden à travers ma gorge serrée.

Ma lame de lumière pénètre sans difficulté le corps du démon.

Ex Nihilo -1- Homo homini lupus est [Wattys 2020 - Paranormal]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant