XLVI- Condamné

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Gabriel


Nous nous battions, mes frères et moi, ainsi que les quelques soldats de l'armée du Père encore en état de combattre, contre des créatures sans corps, des monstres tout droit sortis des entrailles des Enfers lorsque tout s'arrêta, aussi brusquement qu'un coup de tonnerre sur la plaine. Les créatures démoniaques disparurent dans un nuage de fumée opaque et les éléments cessèrent de déchaîner leur fureur sur le monde. Tout fut comme "aspiré" par le maelström de Fenris.

Ce n'est que lorsque les derniers grains de poussière s'écartèrent de mon champ de vision  que je me rendis à l'évidence, lorsque mes yeux se posèrent sur Angi, la garde d'une arme magique dans la main, un sang rouge sombre tâchant ses doigts fins tandis qu'elle poignardait le Prince des Ténèbres.

Lorsqu'elle retira l'arme du torse du démon aux yeux d'or, tout fut balayé.

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Lorsque je reviens à moi, je ne mets pas longtemps à me remémorer les derniers instants de cette horrible histoire. La fin du monde, le maelström, Fenris, Angélique, le poignard. Je me redresse rapidement, déboussolé.

Autour de moi, il n'y a plus rien. Rien sinon une plaine aride et sombre où ne souffle aucune brise ni aucun vent, un lieu sans âme où aucun animal ne se risquera plus jamais.

Plus loin, je devine la silhouette gracile d'Angélique qui peine à se remettre de cette impressionnante vague de retour magique.

Et au sol, l'être à l'origine de ce cataclysme.

Je me précipite vers le démon, vers cette silhouette sombre étendue au sol, ses grandes ailes noires inertes gisant dans la poussière et la cendre.

Lorsque j'arrive enfin à ses côtés, je m'agenouille au sol sans délicatesse et le retourne sur le dos. Je passe ma main devant ses lèvres entrouvertes d'où s'échappe un mince filet de sang.

Il respire encore.

Je m'attarde presque malgré moi sur ses autres blessures. Sur son visage serein s'écoule un large ruisseau écarlate prenant naissance quelque part dans sa chevelure sombre rendue par endroit rigide à cause du sang séché. Une profonde estafilade déchire sa pommette pour stopper sa course à quelques millimètres de son œil gauche. La plaie infligée par Jormungand est toujours là, affreuse et poisseuse de sang. Son aile précédemment brisée lors de son combat contre le démon reptilien a été déboîtée lors de l'impact avec le sol après ce trop brutal retour de magie. Et là, au centre de son torse, une blessure, nette, propre et terriblement précise.

De cette blessure ne s'écoule pas de sang. Seule reste une plaie ouverte, peu profonde, mais diablement efficace. L'arme qu'a utilisé Angélique provient de la force alliée de toutes les Filles de la Terre. Un coup d'une telle lame, s'il ne vous tue pas, est sûr d'emporter une partie de vous. Fenris ne sera plus jamais l'être destructeur qu'il était il y a peu.

La respiration rauque du démon me sort de mes pensées. J'entends alors distinctement des battements d'ailes dans mon dos. Peu après, mes deux frères sont à mes côtés.

- Gabriel, nous devons exécuter la volonté du Père. Le démon doit mourir aujourd'hui.

A ces mots, je sens comme une petite aiguille de douleur se glisser insidieusement dans mon cœur. Ce monstre a beau avoir tenté de détruire la Création, il n'en reste pas moins celui qui a voulu sauver la Fille de la Terre en risquant le tout pour le tout à plusieurs reprises. Sans compter que je l'ai gardé captif pendant un siècle sans savoir que je gardais un prisonnier innocent. Enfin, à l'innocence toute relative, mais innocent des crimes qui nourrissaient ma haine à son égard.

Je hoche doucement la tête et me redresse tandis que mes frères relèvent le démon qui revient progressivement à lui, ses paupières papillonnant devant ses yeux ambrés, et lui maintiennent fermement les bras dans le dos. Bien que je doute que notre cher démon soit encore en état d'user de magie, deux précautions valent mieux qu'une.

Je m'approche d'eux jusqu'à être en face du Prince des Enfers qui semble incapable de tenir sur ses jambes. Haniel relève la tête du prisonnier en attrapant une poignée de ses cheveux noirs. Les deux lacs d'or que sont les yeux de Fenris brillent à la fois de défi et d'épuisement. Mais cela importe peu désormais. En tant qu'archange de la justice divine, c'est à moi d'énoncer les faits et d'appliquer la sentence.

- Fenris, premier du nom, Héritier du trône infernal, Maître des âmes damnées, Prince des Ombres et Ange de la Mort, vous êtes accusé d'avoir attenté à la vie de la Terre, fille du Père, d'avoir déclenché de nombreux conflits destructeurs parmi les mortels, d'avoir créé et propagé plusieurs virus mortels entraînant le trépas d'âmes humaines, ainsi que d'avoir, de par vos actions, précipité la mort d'une Fille de la Terre. Le niez-vous ?

Fenris ne répond que par un silence assassin et un regard meurtrier. J'entends sans qu'il n'ait à les dire les milliers d'insultes, de reproches et de malédictions qui traversent sans doute son esprit en ce moment. Désolé l'ami, telles sont les règles du jeu.

- Ainsi, en paiement de tous vos crimes, moi, Gabriel, archange de la Justice Divine, vous condamne à mort.

Je me fais violence. Un archange se doit d'obéir aux commandements du Père sans poser de questions. Un archange ne se laisse pas détourner de sa route. Le devoir avant les états d'âme.

- Cette sentence est applicable immédiatement, termine-je, ma voix sonnant comme le chuintement d'un couperet à mes oreilles.

Aussitôt, Haniel et Raphael agenouillent Fenris tandis que je dégaine mon épée. La lame crisse douloureusement en quittant son fourreau. J'arme le coup. La tradition veut que le condamné soit décapité.

Aujourd'hui, moi, Gabriel, je vais mener à la mort ce démon aux yeux de soleil.

Ex Nihilo -1- Homo homini lupus est [Wattys 2020 - Paranormal]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant