Ex Nihilo -1- Homo homini lupus est [Wattys 2020 - Paranormal]

XLIII- Cauchemar éveillé

Gabriel

Le monde se déchire. Le Mal ne cesse de grandir sous mes yeux alors que je suis incapable de réagir. C'est un cauchemar. Le pire d'entre tous. Le seul qui ai jamais hanté mon éternité.

La terre gronde sous nos pieds tandis que le ciel pleure à torrents alors que tout semble voler en éclats.

Je cherche du regard une solution, quoi que ce soit qui puisse permettre à la Création de survivre à l'apocalypse qui s'annonce, mais je me sens vidé. Sous l'incroyable et vibrante attraction exercée par le Prince démoniaque, je sens mon âme s'arracher à moi, partir en lambeaux sanglants pour rejoindre cet être sans limite, ce monstre assoiffé de vengeance. Autour de moi, tout ce qui reste des deux armées reste figé, comme attiré également par ce démon qui semble vouloir égaler la puissance du Père.

Au cœur de ce maelström insatiable et insondable semblent se mouvoir des créatures inimaginables au corps plus éthéré que l'air et à l'âme plus sombre que les abysses de la mort d'où elles proviennent.

Seul, je suis incapable de venir à bout de ce démon désormais assez puissant pour donner vie à des créatures inconnues. Cette pensée s'impose à moi, la logique-même. Je serai impuissant face à tant de haine, face au Mal incarné. Il m'absorberait à mon tour et toute ma puissance serait à son service. Il me dépouillerait de ce que je suis en se délectant des hurlements de mon âme avec plus de joie encore qu'il n'en a eu en vidant ses cadets de ce qu'ils étaient.

Angi.

La conclusion m'apparaît d'elle-même. Seule la Fille de la Terre, l'ultime représentante de sa lignée, l'hôtesse de tant d'âmes gorgées de puissance, seule cette jeune femme pourra espérer venir à bout du démon déchaîné. Elle est le seule moyen d'espérer le vaincre. Mais je doute qu'Eden accepte si facilement de mettre fin aux jours de son amant démoniaque, que celui-ci ai perdu la raison ou non, et Angi est très loin d'avoir assez d'expérience pour se soulever contre son aïeule.

Je cherche la Fille de la Terre des yeux, mais mon regard s'arrête sur Fenris, plus magnifique et effrayant que jamais, qui lévite à quelques mètres du sol, ombre inatteignable et destructrice baignée d'une lumière sombre et inquiétante, les pleurs des âmes damnées accompagnant son ascension macabre.

D'ici quelques minutes, plus rien ne pourra l'atteindre, et encore moins l'arrêter.

Derrière cette vision de fin du monde, je distingue la silhouette délicate et perdue d'Angélique. Sans plus tarder, j'appelle à moi mes dernières forces et prends mon envol jusqu'à elle. Mon atterrissage est des plus approximatifs, mais au moins, je parviens à me rapprocher d'elle. Je m'écrase plus que je ne me pose à ses côtés, chaque mouvement se rapprochant d'une séance de torture, des minuscules particules sombres traçant de minces filets sanglants sur ma peau tandis que des ombres sans forme propre déchirent ma chair à coups de griffes et de crocs. Le moindre pas à l'encontre de la volonté de Fenris devient une victoire contre la Mort elle-même.

Angi s'élance vers moi contre le vent tandis que je me relève difficilement. Lorsqu'elle est enfin à portée de voix, je prends une grande inspiration douloureuse et me jette à l'eau.

- Angi, tu dois l'arrêter ! Mes frères et moi allons essayer de détourner son attention, mais toi seule pourra en venir à bout ! dis-je en tentant autant que faire se peut de me faire entendre au-dessus des hurlements du vent et des cris des âmes.

La jeune femme écarquille les yeux et secoue la tête tout en reculant. J'attrape fébrilement son poignet et l'attire vers moi, plus sérieux que jamais.

- Angi, écoutes-moi, reprends-je d'une voix impérieuse, si jamais Fenris parvient au fait de sa puissance, il nous sera impossible de l'arrêter. Un nouveau choix s'impose à toi : veux-tu sauver la Terre-Mère et tuer ce monstre, ou le laisser en vie et condamner la Création à la destruction totale ?

J'ai conscience que ce choix n'en est pas un, mais elle doit comprendre que tout repose désormais sur ses épaules. Elle est la Gardienne de la Terre, sa protectrice la plus puissante entre toutes, son devoir est bien plus important que ses états d'âme.

- Gaby, je ne peux pas faire une chose pareille !

- Et pourquoi pas ? Parce qu'il t'a sauvé la vie en pensant sauver une autre femme que toi ? Parce qu'il a su être compréhensif lorsque mon seul but était de te protéger ? Parce qu'il a souffert ? Qui n'a jamais souffert, dis-moi ? Et pourtant, la mort vient frapper à la porte de tout être, bon ou mauvais. Je sais que c'est difficile mais tu te dois de sauver ce monde !

Une larme cristalline franchit la barrière de ses cils et trace un sillon éclatant dans la poussière qui recouvre son visage défait. Je l'attrape par les épaules et plonge mon regard dans le sien.

- C'est la seule solution, Angi. Il doit mourir aujourd'hui.

Elle hoche faiblement la tête, son visage laissant transparaître une myriade d'émotions contradictoires. Reddition, conviction, terreur, tristesse, angoisse et désespoir se battent férocement en elle. Mais elle finit par se dresser contre le vent destructeur qui s'abat sur le monde, faible lueur d'espoir scintillant au cœur de la nuit.

D'une pensée, je convoque mes frères qui ne tardent pas à se mettre en position de combat. Placés en triangle autour du maelström, Haniel, Raphael et moi attendons un signe d'Angi. 

Elle avance d'un pas vers le tourbillon infernal créé par le démon et se retourne vers moi juste avant de plonger au cœur-même de cette tornade d'âmes hurlantes, de haine et de douleur.

- N'oublies pas qu'il a été ton ami, autrefois.

Puis elle disparaît à mes yeux tandis que mes frères lancent une première attaque contre cette chose monstrueuse qui menace de détruire ce pour quoi nous existons.