Ex Nihilo -1- Homo homini lupus est [Wattys 2020 - Paranormal]

XXIII- Mise au point

Angélique

Lorsque je reviens à moi, je suis sous la tente avec le mal de crâne du siècle. Je me redresse en grognant avant de mettre le nez dehors. Le spectacle qui m'attend est pour le moins inhabituel. Mon archange d'ami est en train de nettoyer son épée tout en discutant avec ses frères, leurs trois paires d'ailes blanches s'agitant doucement dans leur dos, tandis que Fenris git au sol, ligoté, baillonné et couvert de sang. Nom d'un chien, qu'est-ce que j'ai raté ?

Je regarde autour de moi et ne tarde pas à remarquer que le démon n'est pas le seul à être en mauvais point. Plusieurs cadavres carbonisés gisent çà et là, tachant la neige immaculée de noir et de rouge.

- Mais qu'est-ce qu'il s'est passé ici ? murmuré-je pour moi-même.

Gaby redresse la tête de son ouvrage pour m'offrir un sourire de circonstance qui se veut rassurant. L'ennui, c'est que je suis tout sauf rassurée !

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ! dis-je plus fort, insistant bien histoire que ces messieurs intègrent le fait que je commence sérieusement à manquer de patience et qu'ils ont intérêt à être très, très prudents dans leur réponse.

Gabriel lance un regard à la limite d'un désespoir comique à ses deux frères qui lui offrent un sourire navré qui semble vouloir dire "désolé, ton amie, tes problèmes". Il soupire un instant avant de se résigner à m'approcher. A nous deux, mon coco.

- Bon, Angi, écoute, je sais que ça doit te paraître un peu bizarre tout ça et je... commence-t-il, penaud.

- Bizarre ? Bizarre ?! T'es sérieux ? Ce que je trouve le plus "bizarre" dans cette histoire, c'est qu'à chaque fois que j'ai l'occasion de faire quelque chose que ce soit en bien ou en mal, je me retrouve dans les vapes avec une migraine d'enfer et des questions plein la tête ! Ce que je trouve "bizarre", c'est que tu ne m'ais jamais avoué que la mort de ma mère a beaucoup à voir avec toi et tes frères ! Je trouve aussi étrange que chaque Fille de la Terre qui t'approche se retrouve six pieds sous terre avant d'avoir le temps de faire quoi que ce soit ! Alors soit tu portes la poisse, soit ton Père n'est pas aussi bienveillant que tu me le laisses croire.

Il a un mouvement de recul, un peu choqué par ma tirade qui a pour seul et unique but de le blesser.

- Angi, tu ne penses pas ce que tu dis.

- Tu aurais bien tord de penser ça, lancé-je froidement. J'en ai plus que marre de découvrir les vérités d'un passé que j'ignore de la bouche de celui que je devrais considérer comme mon ennemi alors que mon ami ne m'avoue que ce qui l'arrange. Tu le diabolises, tu tentes tout pour le faire baisser dans mon estime, et lui, en trois phrases, il parvient à me faire douter de toi, toi en qui j'ai toute confiance depuis ma plus tendre enfance. Je ne sais plus qui croire... finis-je par dire en m'asseyant brutalement dans la poudreuse, les larmes de colère au bord des yeux.

J'en ai assez de ne pas comprendre, d'être sans cesse à la traîne.

- Dis-moi précisément ce qu'il s'est passé. N'omet aucun détail cette fois.

Il hoche doucement la tête, toujours un peu déconfit, et se lance dans ses explications. Il me raconte ma fuite, m'explique ce qu'il a dû faire pour convaincre Fenris de l'aider à me retrouver, la trahison du démon, leur combat et comment il est parvenu à le vaincre après l'arrivée de ses frères.

Je lance un regard dédaigneux au démon gisant dans la neige et le sang qui semble retenir des grognements de douleur tandis que la plaie béante qui lui transperce l'abdomen se résorbe doucement. Puis un détail me frappe.

- Tu dis que j'ai utilisé de la magie sur toi ? Comment ? La seule chose que je sache faire pour le moment, c'est m'empêcher de geler sur place ou de crever de chaud.

Il hausse les épaules, visiblement incertain de sa réponse.

- Peut-être Fenris a-t-il eu connaissance de certains pouvoirs des Filles de la Terre en ayant passé plusieurs mois en compagnie de ton aïeule. Elle lui aura montré quelques tours et il sera parvenu à réveiller en toi la puissance nécessaire à l'élaboration d'un tel sortilège. Ce qui est certain, c'est que tu es bien plus puissante que ne l'était ta grand-mère. Jamais elle n'aurait pu se débarrasser aussi facilement d'un archange quand toi, tu l'as fait presque naturellement.

Je réfléchis quelques instants en silence, laissant les flocons tomber doucement et sans bruit sur les bois.

- Apprend-moi.

Il relève la tête, sourcils froncés.

- Quoi ?

- Apprend-moi. Je veux pouvoir réussir à me battre sans être sous le joug d'un quelconque démon. Je veux pouvoir maîtriser quelques tours de passe-passe avant d'arriver au Sanctuaire afin de ne plus être un fardeau pour toi.

- Tu es loin d'être un fardeau, tu...

- Là n'est pas la question, le coupé-je. Je veux pouvoir me défendre et riposter.

Il passe une main dans ses cheveux mi-longs en jetant un regard interrogateur à ses frères qui lui lancent une nouvelle fois leur sourire l'air de dire "nous ne sommes absolument pas concernés". Mon ami soupire avant d'enfin briser le silence.

- Je ne sais pas comment faire. Je n'ai jamais entraîné une Fille de la Terre et les quelques unes que j'ai pu côtoyer avaient déjà achevé leur formation. Seul Fenris a eu le privilège de voir l'initiation.

Mon regard vole alors vers le démon toujours au sol, étouffant tant bien que mal ses gémissements de douleur avant de revenir se planter dans les yeux d'azur de Gabriel.

- Alors laisse-le m'entraîner. Apprend-moi comment résister à ses sortilèges et permet-lui de m'apprendre à me battre.

Il me lance un regard incrédule avant de répondre farouchement.

- C'est hors de question, tu as perdu la tête ? La première fois qu'il t'a parlé en tête à tête, tu as voulu me tuer, et la dernière fois, soit il y a moins d'une demi-heure, il t'a à peine lancé un regard qu'il contrôlait ton corps et tes pouvoirs ! Le laisser prononcer ne serait-ce qu'une seule parole de plus serait un danger auquel je ne t'exposerai plus.

- Mais je...

- C'est non discutable, Angi. Cette... créature est un monstre, et les monstres doivent être enfermés ou liquidés. Le laisser te manipuler encore une fois lui permettrait d'assurer encore bien plus l'emprise qu'il a déjà sur toi. N'oublie jamais qu'un démon, quelle que soit sa forme, fera tout pour arriver à ses fins. Il te charmera, il t'utilisera, et tu mourras avant d'avoir atteint vingt ans.

- Gaby, je...

- Non. Le démon nous accompagnera jusqu'au Sanctuaire afin qu'il puisse honorer son contrat. Il te protégera au péril de sa vie. Une fois cela fait et s'il survit, il ira affronter ses cadets. Qu'il soit victorieux ou non m'importe peu. Mais jamais au grand jamais il ne t'approchera, j'en fais le serment. Je suis ton ami, mon rôle est de te protéger de tout, y compris de toi-même.

Il continue d'une voix plus douce.

- Angi, mon seul but dans la vie est de m'assurer que tu vives libre et heureuse, pas captive des charmes des Enfers. Je serai toujours là pour t'écouter, te prodiguer des conseils et t'offrir mon aide. C'est ce que font les amis, dit-il en souriant du coin des lèvres.

Puis, sans un mot de plus, il s'éloigne et rejoint ses frères qui arborent désormais un visage impassible. Je le regarde avancer, repensant à sa dernière phrase. "Je serai toujours là pour t'écouter"... Et pourtant, le seul qui ait prit mon avis en considération depuis le début de ce périple est le démon à mes pieds. Mon ennemi. Quand il m'a vu quitter ma tente, il n'a pas donné l'alerte, n'a pas cherché à me retenir. Ses seuls mots ont été : "Essaye de ne pas mourir bêtement", rien de plus. Comment un démon peut-il comprendre mon besoin de solitude et de liberté quand mon archange de meilleur ami en est incapable ?